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En hommage à Gitla, nous vous proposons aujourd'hui de découvrir son histoire.
Ce texte a été rédigé à l'occasion de l'exposition « Lest We Forget - N'oublions pas 2022 », réalisée par le Crif.
Gitla Shapiro est née le 19 mai 1932. Sarah Castel, le 2 novembre 1936. Ces deux femmes sont sœurs. Elles sont les filles cadettes de la Mr et Mme Rosenblum, parents d’une famille nombreuse de 8 enfants.
Gitla et Sarah sont toutes deux nées à Paris.
La famille Rosenblum, famille juive très religieuse, originaire de Pologne, émigre en France en 1929. Ils s’installent dans le 4ème arrondissement de Paris, Rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Ils mangent cacher, célèbrent les fêtes.
Le père est « sho’het », il s’occupe de l’abattage rituel. La mère travaille dans une épicerie, rue des Écouffes. Elle travaillait beaucoup. Elle allait aux Halles la nuit, rentrait épuisée et faisait des pâtisseries. Malgré cela, elle était disponible pour ces enfants.
Sarah se souvient particulièrement de la cuisine séparée dans laquelle on cuisinait les repas composés de laitage, à l’autre bout de l’appartement.
Le matin du 16 juillet 1942, jour de la rafle du Vél d’Hiv, des policiers français se présentent au domicile de la famille Rosenblum.
« On nous a prévenu mais on n’a pas compris, on est resté » explique Sarah.
Cette semaine-là, les deux petites filles âgées de 10 ans et 6 ans, devaient partir en colonies de vacances. Les valises étaient prêtes.
Elles ne se rendaient pas vraiment compte que c’était la guerre, trop jeunes pour comprendre. « Mais nous avons porté l’étoile jaune » déclare Gitla.
Mais la police française vint les arrêter, ainsi que leurs parents, un de leur frère, Isaac, et leur sœur Pauline. On leur demande de préparer quelques affaires. Puis tous les six sont emmenés.
Gitla et Sarah sont tout d’abord entassées dans une école, puis une fois les autobus arrivés, sont conduites jusqu’au Vélodrome d’Hiver.
Elles se souviennent de leur mère, qui dans la précipitation, avant de partir de chez elle, pense à prendre les bougies de chabbat, des bougeoirs et une nappe blanche. « J’ai le souvenir que c’était un jeudi » raconte Gitla.
À l’arrivée, « on nous a fait assoir sur des gradins de courses cyclistes ». L’atmosphère est tout de suite très différente. Petit à petit, le Vélodrome s’est rempli. « La nuit les femmes hurlaient de peur, menaçaient de se jeter du haut des gradins… » raconte Gitla. La dureté de la situation commence à se faire ressentir. Certains ont même essayé de se sauver.
Sarah n’avait que 6 ans. Ses souvenirs sont parfois flous. Mais elle voit encore cette lumière bleuâtre, elle se rappelle de l’odeur pestilentielles des toilettes pleines. Des milliers de personnes sont entassés dans ce vélodrome.
Au bout de quelques jours, des autobus les conduisent au camp d’internement de Pithiviers.
Dans le camp de Pithiviers, « la vie est difficile, un avant-goût de la vie d’internés » selon Gitla. Elles dorment dans des lits en bois superposés. Mais la famille est encore réunie.
Puis « un jour, on nous a fait venir devant les barbelés, et nos parents étaient de l’autre côté des barbelés. Ils nous ont dit ‘dites au revoir à vos parents’ ». « On s’est mise à hurler de chagrin ». Une scène qui a terriblement marquée Gitla, et dont les souvenirs restent douloureux. Leur frère Isaac était avec leur père, et leur sœur Pauline avec leur mère. Les femmes et les hommes étaient séparés. Sarah, seulement âgée de 6 ans, garde en tête un souvenir précis de cette séparation. « La dernière image que j’ai de mon père, tête nue, barbe rasée ».
La famille est séparée. Les deux jeunes sœurs se retrouvent seules.
Un peu après, elles sont transférées à Drancy. « À Drancy on traînait, on attendait » raconte Sarah. Elles ont faim. Gitla vole une carotte dans la cuisine. « On m’a mis au cachot, au sous-sol. Et ma sœur [Sarah] s’est couché devant l’entrée du cachot et hurlait ». Elle ne voulait pas rester seule.
À Drancy, les deux sœurs montent dans un autobus. Elles suivent les directives. Mais Gitla 10 ans et demi, refuse de rester dans le bus. « J’ai dit ‘mais viens, viens’. Sarah me répond ‘non, on va nous fusiller’. Et je me souviens que celui qui dirigeait le camp de Drancy était à proximité. Je le revois. Je revois cette scène. Et on est descendu ». « C’est ce qui nous a sauvé » assure Sarah. « J’en suis fière aujourd’hui mais je n’avais pas conscience de ce que je faisais, ni conscience du risque. Je ne savais pas alors où allait le bus. » réagit Gitla. Elles retournent dans la chambre où elles étaient, et attendent.
« Nous avions un oncle à l’extérieur, le frère de mon père, oncle Raymond, qui nous a fait parvenir un message : ‘Je m’occupe de vous’. » explique Gitla. Il avait des relations, il était ami avec un monsieur qui s’est engagé dans la Gestapo. Grâce à cette relation, il a réussi à faire sortir ses nièces de Drancy. Le 15 octobre 1942, un avis de libération pour Sarah et Gitla parvient au camp. On vient les chercher.
On les conduit chez leur belle-sœur au 32 rue des Blancs-Manteaux. « Nous étions sales, laides, pleines de boutons, de poux. Horrible, vraiment horrible » raconte Gitla. Leur belle-soeur avait déjà une petite fille de 3 ans et demi. Mais malgré le risque qu’elle prenait, elle les a gardés quelques temps. « C’était une femme courageuse, formidable » ajoute-t-elle.
Puis l’UGIF (Union Générale des Israélites de France) les a ensuite placés dans des familles, à la campagne, dans la Sarthe.
Pour la première fois, le chemin des deux sœurs se séparent. Chacune est cachée dans une famille différente, chez des paysans qui étaient payés par l’UGIF.
Gitla a été placée dans une famille correcte, les Bernard. Elle n’était pas maltraitée mais elle devait travailler. Elle gardait les vaches. Elle se souvient avoir dormi, à son arrivée, dans un lit de bébé. « J’avais 10 ans, je n’étais pas du tout à l’aise ». Elle restera environ trois ans chez les Bernard. Avec Sarah, « on se voyait parfois, mais on ne nous laissait pas nous rencontrer. C’était très dur. »
Pour Sarah, il en fut malheureusement autrement. « Moi, j’étais dans une famille horrible. J’étais la bonne ». Sarah, petite fille de 6 ans et demi, devait tout faire et se faisait souvent punir. Les mauvais traitements eurent raison de sa santé et de sa joie de vivre. « J’ai été emmené 3 mois à l’hôpital pour me remettre » raconte-t-elle.
L’UGIF a ensuite placé Sarah dans une autre famille, correcte.
À la fin de la guerre, leur frère Raymond est venu les chercher et les ramener à Paris. Pendant la guerre, il avait fait le maquis.
Leurs parents ne sont pas revenus. Tout comme Isaac, Pauline, et Paul.
Après la guerre, Gitla a eu le bonheur de rencontrer Haïm Shapiro, un homme qui a eu le même destin en Pologne. « La famille, c’était important pour lui. » Elle était heureuse d’avoir tous ces souvenirs.
Hier, nous avons appris avec une sincère tristesse le décès de Gitla. Elle vivait en Israël, ce qui la rendait très heureuse. Elle y était près de sa famille, de ses trois enfants et désormais 11 petits-enfants.
Nous pensons fort à toute sa famille, ses enfants, petits-enfants, arrières petits enfants, ainsi qu'à sa soeur Sarah.
Marie-Sarah et Johana, Commissaires de l'exposition Lest We Forget 2022 pour le Crif