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Publié le 23 Mai 2022

Hommage à Elie Buzyn - Un Mensch, un collègue et un ami vient de nous quitter

Au cours de la vie, nous faisons la connaissance d’êtres d’exception qui nous marquent à jamais. Elie Buzyn est l’un d’entre eux. Il avait le don de laisser une empreinte intangible chez toutes les personnes qui le rencontraient.

J’ai été impressionné la première fois que je l’ai vu il y a plus de quarante ans. J’étais alors un jeune étudiant en médecine et il m’avait alors subjugué par son sourire, son enthousiasme, sa bienveillance et surtout par sa fantastique faculté d’insuffler un optimisme qui vous donnait l’impression que tout était possible. À l’occasion d’une rencontre à la fin avril avec des étudiants de l’école EMC2 au centre Fleg dans le cadre de Yom HaShoah je lui avais demandé de donner un conseil à ces étudiants qui se préparait à passer les redoutables concours d’écoles d’ingénieur dans les prochains jours. Il leur avait dit simplement "Faites comme moi, fixez-vous un objectif et faites tout ce que vous pouvez pour l’atteindre". Comment ne pas être sensible à ce conseil d’aller au bout de ses rêves de la part de cet homme qui avait vécu pendant cinq années interminables l’horreur du Ghetto de Lodz, la souffrance de la déportation, l'assassinat des siens, l’enfer du camp Auschwitz puis la marche de la mort jusqu'à Buchenwald. Le 11 avril 1945, le camp est libéré par l’armée américaine et Elie fait partie des enfants de Buchenwald, accueillis par la France et pris en charge par l’OSE à qui il a été fidèle toute sa vie : membre du conseil d’administration et de l’amicale des Anciens enfants de l’OSE, il était un pilier des réunions du lundi matin avec ses compagnons et Katy Hazan.

Comment fait-on pour se reconstruire quand on a 15 ans et qu’on apprend qu’on est enfin libre le 11 avril 1945. Comment, alors, réapprendre à vivre ? Après avoir émigré dans ce qui était la Palestine mandataire, Elie s’est progressivement reconstruit en intégrant un kibboutz conformément au souhait de son frère assassiné devant ses yeux dans la Ghetto de Lodz. Il a participé à la Guerre d’Indépendance de l’Etat d’Israël.

À 25 ans, cet homme doté d’une force morale hors du commun est arrivé à Paris pour faire des études de médecine. Comment ne pas être admiratif devant son obstination et son opiniâtreté qui lui ont permis de passer le baccalauréat, puis les concours d’Externat et d’Internat pour devenir chirurgien orthopédique ?

Il n’a jamais oublié ses souffrances passées qui restaient enfouies au fond de son cerveau et qui resurgissaient comme le jour où il s’est fait engueuler par un professeur de médecine qui n’était pas satisfait par la qualité de son observation. À ce moment précis, il m’a raconté qu’il ne voyait pas devant lui le « Mandarin » dans sa blouse blanche mais un SS en uniforme en train d’hurler. 

Quand je le sollicitais pour témoigner ou quand nous nous retrouvions à Auschwitz avec des étudiants, je lui demandais d’expliquer à l’auditoire en quoi son expérience de survivant de la Shoah avait eu un impact sur sa vie professionnelle. Il expliquait alors qu’il avait choisi d’accepter un poste de chirurgien dans un hôpital psychiatrique pour s’occuper de malades en fragilité psychique dont personne ne voulait s’occuper et qu’il a participé à des missions humanitaires en Afrique dans ce même état d’esprit. Il expliquait qu’il s’était spécialisé dans la difficile prise en charge chirurgicale des Témoins de Jéhovah qui refusent toute transfusion sanguine parce qu’il avait été lui-même soigné dans le Revier à Auschwitz par l’un d’entre eux qui était déporté infirmier.

Il expliquait qu’il avait pris la décision à l’âge de 50 ans de courir le marathon alors qu’il n’avait pratiquement jamais fait de sport parce qu’il souffrait de douleurs intolérables au niveau de ses pieds à la suite de gelures survenues au cours de la Marche de la mort. Il avait alors commencé à faire un tour du Jardin du Luxembourg le premier jour, puis deux tours le second jour et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il puisse atteindre les fameux 42,195 km. Quelle revanche sur la vie de voir Elie Buzyn choisit comme porteur du flambeau des jeux olympiques ?

La vie d’Elie Buzyn c’est également une œuvre de transmission inlassable de la mémoire de la Shoah. Il accompagnait chaque année le Grand Rabbin de France Haïm Korsia au voyage de mémoire à Auschwitz, et pour la dernière fois en janvier dernier, le Premier Ministre Jean Castex s’était joint au voyage. Son travail de transmission était tourné vers les jeunes générations : collégiens, lycéens, étudiants. Témoigner encore et encore …et jusqu’à son dernier jour, dimanche 22 janvier où il donnait une conférence à des étudiants. Il nous laisse également des écrits d’une force extraordinaire dont l’ouvrage le plus récent J'avais 15 ans : Vivre, survivre, revivre.

Tout d’Elie Buzyn est dit dans ce titre.

Enfin, derrière tout grand homme il y a une femme admirable. Etty a joué fondamental dans la reconstruction d’Elie. Cette femme remarquable, psychologue de renom, l’a aidée et surtout l’a protégée jusqu’à son dernier souffle. À Etty, à ses enfants, ses petits-enfants nous exprimons au nom du Crif, de l’AMIF, de l’OSE nos plus sincères condoléances.

Bruno Halioua avec Jean François Guthmann et Patricia Sitruk