Lu dans la presse
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Publié le 25 Octobre 2021

France - Du tragique sous les couleurs de Renoir, sur France 5

La spécialiste des spoliations Emmanuelle Polack se joint au biographe Pierre Assouline pour retracer le destin d’un des plus beaux portraits du peintre impressionniste. Un documentaire inédit à découvrir en replay, sur France 5, jusqu'au 29 octobre.

Publié le 22 octobre 2021 sur le site du Figaro

Voici l’histoire d’un tableau d’abord mal-aimé puis trop aimé. Une huile sur toile de 65 x 54 cm exécutés par Renoir en 1880, dont le poète Henri Michaux a dit un jour qu’il était un visage de jeune fille «à qui on n’a pas encore volé son ciel»… On comprendra bientôt pourquoi. L’enfant en question est alors âgée de 8 ans. Elle se prénomme Irène. Le commanditaire est son père, le banquier parisien Cahen d’Anvers. À 39 ans, Renoir peut se prévaloir d’une certaine renommée mais est encore loin d’être aussi célèbre qu’aujourd’hui. Ainsi accepte-t-il ce type de travail alimentaire.

 

Les carnations puisent à l’art des porcelainiers limougeauds

Dans ce portrait, Renoir a commencé de tempérer son impressionnisme par un certain classicisme. La caméra, rasant la surface de la toile, le démontre comme jamais. Au cœur d’une composition rigoureusement pyramidale, le visage est traité précisément, tel celui des madones anciennes. Grands yeux mélancoliques d’un bleu translucide à pointe de vert eau, le tout cerné du rouge des paupières et du noir de longs cils. Dessous, les lèvres corail ne sont ni trop fines ni trop pulpeuses. Autour, sur la dentelle blanche aux ombres bleues de la robe, cascade une chevelure blond vénitien. La touche se fait alors preste, fusionnant même avec le fond de feuillage dans un beau jeu de fins empâtements. Les carnations, quant à elles - estompes de rouge et de violet sanguin comme chez Rubens - puisent à l’art des porcelainiers limougeauds, celui des premiers jours de l’artiste.

 

Entre les mains de Göring

Les Cahen ont trouvé le résultat trop moderne, reléguant leur achat dans les communs de leur hôtel particulier. Renoir, lui, s’est estimé trop peu payé et a dénoncé une pingrerie jusqu’à tenir des propos antisémites. Le début d’une malédiction? Pendant la Seconde Guerre mondiale l’œuvre a été volée par les nazis à Béatrice, la fille qu’Irène a eue avec Moïse de Camondo, autre banquier et collectionneur juif. Divorcée en 1902, Béatrice s’était ensuite unie à Léon Reinach, membre d’une grande famille israélite humaniste. Ce couple a péri au camp d’Auschwitz-Birkenau ainsi que ses deux enfants.

Le processus de spoliation est expliqué dans toute sa froide horreur par la spécialiste Emmanuelle Polack tandis que le biographe Pierre Assouline conte avec clarté la vie retranchée dans ses trésors du XVIIIe siècle de Moïse, inconsolable depuis le décès de son fils, Nissim, pendant la Grande Guerre.

En 1945, le tableau est retrouvé dans un château de Louis II de Bavière. Il était passé entre les mains de Göring, lequel l’avait échangé contre une Vierge de la Renaissance à un autre profiteur de guerre. Irène, elle, a survécu et a réussi à récupérer le «charmant souvenir de son enfance». Mais, nécessité, appât du gain ou, comme il est suggéré dans ce documentaire, refus de laisser l’œuvre en France, «un pays qui s’est si mal conduit avec les siens», elle l’a vendue en 1949. Comble de l’ironie, cela a été à Emil Bührle, un puissant collectionneur suisse qui avait fait fortune notamment en fournissant en armes la Wehrmacht.

 

Découvrir le documentaire en replay