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Hervé Gaymard remercie l’ensemble de la commission de le recevoir, pour échanger librement sur des sujets d’histoire et d’actualité.
« Je suis très heureux de me trouver parmi vous, moi le savoyard né dans une famille catholique, je me suis toujours intéressé à l’histoire. En mars 2022, j’ai été reçu récemment à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, qui fait partie des cinq académies qui forment l’institut de France, avec l’Académie Française, l’Académie des Beaux-Arts, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et l’Académie des Sciences. J’ai écrit plusieurs ouvrages, essais littéraires, politiques et historiques. Le dernier est un récit, Un homme en guerres (2019, Éditions Équateurs), un voyage avec Bernard Fall, mon héros méconnu. Sa vie croise plusieurs des lignes de forces qui m’ont forcé depuis mon enfance, et sont à l’origine de mon engagement politique : l’effondrement de notre pays en 1940 ; la Shoah ; la chute de Phnom Penh et Saïgon en 1975, quand l’on voit ces grappes de vietnamiens accrochés au dernier hélicoptère américain. L’obsession de la Shoah m’habite, même si je ne suis pas juif. »
« Je suis allé en Israël pour la première fois à trente ans quand j’étais Attaché financier pour le Proche et le Moyen-Orient à l’Ambassade de France au Caire, entre 1990 et fin 1992, en pleine guerre du Golfe et au début du processus de paix qui allait amener à Oslo. Pendant toutes ces années je n’ai cessé de voyager, de la Turquie à la Somalie, et de la Libye et l’Afghanistan, y compris Chypre et Israël, où j’allais en mission trois ou quatre fois par an. Député puis Secrétaire d’État, puis Ministre de Jacques Chirac, je n’ai cessé de suivre les questions du Moyen-Orient, où je suis retourné fréquemment. J’ai donc vécu douloureusement l’échec du processus de paix, après l’assassinat d’Yitzhak Rabin, et la montée de l’antisémitisme en France, et de la confusion intellectuelle qui a produit cet islamo-gauchisme qui dévoie une partie de la gauche, ce que regrettait et fustigeait mon ami Jacques Julliard, récemment disparu. »
« À l’automne 1995, dans le cadre du processus d’Oslo, s’est tenue à Aman la conférence économique pour la paix. Je menais la délégation française. Nous avons été reçus successivement par le Roi Hussein de Jordanie à 18 heures, nous avons ensuite dîné à l’Ambassade de France avec Shimon Peres, et à 1 heure du matin nous avons rencontré Yasser Arafat. Je croyais rêver. Je rêvais en effet, car quelques jours plus tard, l’assassinat d’Yitzrak Rabin fracassait cette espérance. C’est sans doute un des souvenirs les plus marquants de ma vie d’homme. »
« J’ai toujours été intéressé par la guerre d’Indochine, puis du Vietnam. C’est pourquoi j’ai écrit ce livre sur Bernard Fall, universitaire américain qui était dans les maquis en Savoie pendant la Seconde Guerre mondiale, né à Vienne en 1926 dans une famille juive de Galicie. En 1938, après la terrible « nuit de cristal », les parents décident d’envoyer les enfants à Paris chez leur tante, mariée à un catholique breton. Ils arrivent par miracle à les retrouver en 1939, puis se réfugient à Nice, où ils vivront, tant bien que mal, jusqu’à la grande rafle de la zone sud du 25 août 1942. Le père de Bernard arrive à s’enfuir (il sera arrêté et exécuté par les nazis en octobre 1943), la maman et la petite sœur sont arrêtées. Avant le départ sans retour pour Drancy puis Auschwitz, la maman se séparera de sa petite fille à la gare de Nice. Elle sera sauvée par les sœurs clarisses du couvent de Cimiez, où elle sera cachée jusqu’à la libération. Seul le jeune Bernard (seize ans) échappe à la rafle, grâce à un policier français. Il fait preuve d’une force morale peu commune. C’est un homme debout. Il entre dans la Résistance FFI d’abord dans les Alpes-Maritimes, puis en Savoie. Il s’engage en septembre 1944 dans l’armée française, puis après sa démobilisation en 1946, il est recruté comme traducteur aux procès de Nuremberg. Repéré par les Américains, il bénéficie d’une bourse d’études, part aux États-Unis, où il fait sa vie, et devient bien vite l’universitaire de référence spécialiste de l’Asie du Sud-Est. Il ne reste pas derrière son bureau, il est sans cesse sur le terrain, et c’est ainsi qu’il meurt en 1967 en sautant sur une mine à 41 ans, alors qu’il patrouille avec un peloton de Marines au nord d’Hué. Ce Valeureux est resté français jusqu’à sa mort, et cette vie fascinante qui traverse tous les drames du vingtième siècle me fascine. C’est pourquoi j’ai acquitté une dette de reconnaissance en faisant toutes ces recherches, tous ces voyages sur ces traces, et que j’ai écrit ce livre. »
Vous qui êtes Président de la Fondation Charles De Gaulle, que pensez-vous de la phrase du Général en novembre 1967, après la guerre des Six-jours, sur « le peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » ?
« Je comprends bien sûr que cette phrase ait tellement choqué. Le général De Gaulle s’en est immédiatement expliqué avec le Grand Rabbin Kaplan, et sa correspondance avec David Ben Gourion, qui viendra assister à la cérémonie de Notre-Dame de Paris, puis à la Grande Synagogue en novembre 1970, dissipera ce malentendu. »
« Au printemps dernier nous avons organisé avec l’Université Ouverte de Tel Aviv un grand colloque international, à Paris, sur le thème « De Gaulle, Israël et les Juifs » pour reprendre le titre du livre de Raymond Aron publié en 1968, dont les actes vont paraître l’année prochaine. Nous avons examiné sans tabou tous les sujets d’incompréhension. »
« Tout d’abord, il faut rappeler que le Général Charles De Gaulle est né dans une famille certes catholique traditionnelle, mais dreyfusarde, ce qui était rare à l’époque dans ce milieu. Il n’y a pas une ombre d’antijudaïsme ou d’antisémitisme dans sa formation intellectuelle et morale. Son entourage de Londres, avec René Cassin et tant d’autres, l’illustre bien. »
« C’est lui qui a rétabli le Décret Crémieux à Alger à l’automne 1943, et personne d’autre. J’ai lu sous certaines plumes incultes ou mal intentionnées, qu’il avait rechigné à le faire. C’est complètement faux. Les Alliés débarquent en Afrique du Nord en novembre 1942. De Gaulle n’en est pas informé, il reste marginalisé à Londres, et ils pactisent contre la France Libre et la résistance intérieure algéroise, dont la figure est José Aboulker avec les pétainistes, l’Amiral Darlan d’abord et le Général Giraud ensuite. De Gaulle n’arrive à Alger que fin mai 1943, et il ne prend l’ascendant sur Giraud que le 3 octobre 1943, quand il devient Président du Comité Français de Libération Nationale. Le Décret Crémieux est rétabli le 21 octobre 1943. Ce sont les faits. Ils se passent de tout commentaire. »
« Il approuve la création de l’État d’Israël, et s’il met à certaines coopérations dans le domaine nucléaire quand il revient au pouvoir en 1958, c’est tout simplement parce qu’il mène une politique d’indépendance nationale, et que l’atome ne se divise pas, ni avec Israël, ni avec l’Allemagne, ni avec l’Italie d’ailleurs. Il considère qu’Israël est devenu un état comme un autre dans les relations internationales, même s’il lui voue une grande affection comme l’atteste l’accueil qu’il réserve à David Ben Gourion, son ami, lors de ses visites à Paris en 1960 et en 1961. »
« C’est pourquoi, quand montent les tensions au début de 1967, à la suite de la fermeture du détroit de Tiran par Nasser, De Gaulle dira à Abba Eban, que si Israël est attaqué, la France le soutiendra, ce qui ne sera pas le cas si c’est Israël qui attaque. C’est ce qui explique l’embargo, qui a d’ailleurs été peu contraignant dans son application effective. C’est pourquoi il faut relire l’intégralité de la conférence de presse de 1967, dont certaines remarques prospectives méritent d’être méditées aujourd’hui. S’en tenir au membre de phrase sur le « peuple d’élite » – ce qui pour Charles De Gaulle est un compliment – est donc réducteur. »
« Sur la question algérienne, il n’y avait pas de bonne solution. Le seul qui avait eu une vision claire de l’avenir avait été Napoléon III avec son projet de « Royaume Arabe », combattu par les Républicains. Ni la IIIème, ni la IVème République n’ont su imaginer, à l’exception de Léon Blum peut-être, ni mettre en œuvre les réformes et les institutions à même de conjurer le pire. C’est à De Gaulle qu’il a incombé de trancher le nœud gordien, quand il était déjà trop tard, et que le peuple français ne voulait plus de cette guerre. Il ne l’a pas fait de gaîté de cœur, comme il l’écrira lui-même dans ses Mémoires d’Espoir ». Restent la faute de l’abandon des Harkis, et l’absence de manifestation publique de compassion et d’affection pour les Rapatriés qui ont tout perdu, et subi l’ingratitude de la Mère-Patrie. »
Que pensez-vous des subventions versées aux palestiniens de la bande de Gaza ?
« Il faut évidemment que l’Union européenne cesse toute aide qui serait détournée de son objet humanitaire. »
Propos recueillis par Anne Brandy, Secrétaire de la Commission relations avec les Élus