Jean Pierre Allali

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Lectures de Jean-Pierre Allali - La médecine de Rachi : pour une approche humaniste du soin, par Ariel Toledano

24 Juin 2020 | 171 vue(s)
Catégorie(s) :
Religion

Par un enchaînement de hasards, notre bloggueuse Sophie, plus habituée aux sujets de cyber-sécurité et de contre-terrorisme, s'est retrouvée les mains dans la pâte (à pizza). Et ça lui a donné quelques idées plutôt gourmandes... Elle les partage avec vous à travers ces chroniques culinaires !

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La médecine de Rachi : pour une approche humaniste du soin, par Ariel Toledano (*)

 

Médecin, Ariel Toledano est également l’auteur de nombreux ouvrages savants qui mêlent souvent médecine et sagesse juive. Après nous avoir proposé une belle étude sur Maïmonide (1), il se penche à présent sur le célèbre rabbin de Troyes, avec, en toile de fond, ce questionnement : à l’instar de Maïmonide, Rachi n’était-il pas, lui aussi, en son temps, un grand médecin ?

« Symbole du génie français et du judaïsme », fils d’Yitzhak, Rabbi Shlomo Yitzhaki a vu le jour à Troyes, en Champagne, en 1040. Descendant d’une lignée prestigieuse de rabbins, il décide de suivre leur trace et, à 18 ans , il part étudier à Mayence dans une yeshiva. Il aura successivement pour maîtres Rabbi Yaakov Ben Yakar, Rabbi David Halévy et Rabbi Yitzhak Ben Judah. Il complètera ses études auprès de ces trois maîtres en suivant les cours, à Worms, de Rabbi Yitzhak Halévy.

Nanti d’un solide bagage, il retourne dans sa ville natale en 1065. Nommé rabbin de Troyes, il se marie. Son épouse va donner naissance successivement à trois filles ; Yokheved, Myriam et Rachel. Fondateur d’une école talmudique qui atteindra rapidement une grande renommée, il gagne sa vie en tant que viticulteur.

Rachi meurt le 13 juillet 1105, correspondant au 29 tamouz 4865,  à l’âge de 65 ans. Le lieu de sa sépulture demeure, à ce jour, inconnu.

Comme « la tradition juive est un hymne à la vie » et bien que la première faculté de médecine en France ait vu le jour à Montpellier, au XIIIème siècle, Ariel Toledano, à la lecture très fine des écrits du grand maître, se pose légitimement la question : Rachi n’a-t-il pas aussi été médecin, un praticien effectif s’entend ? Car outre les ouvrages religieux, sa curiosité intellectuelle l’a certainement poussé à étendre ses connaissances à d’autres domaines, notamment la médecine. « Il a probablement eu l’occasion de lire d’autres traités de médecine, tant il est clair qu’il fait preuve de connaissances médicales approfondies à de nombreuses reprises dans son œuvre ». Rachi, tout compte fait, a un tel sens pratique de la médecine, qu’on peut légitimement « supposer qu’il a lui-même réalisé certains actes ». Il aurait même sauvé des vies, dont celle d’un évêque !

Si on imagine volontiers Rachi taillant ses vignes une serpette à la main, on a du mal à le voir muni d’un scalpel. Et pourtant ! Malgré l’interdiction faite alors aux Juifs, notamment par l’Église,  d’exercer la médecine, « il est indéniable que les règles autour de l’hygiène et de la santé issues de la Bible et du Talmud, ont probablement encouragé les Juifs, à travers les siècles, à s’intéresser à la médecine et à porter une attention particulière à la santé et aux soins en général ».

Dans ses attendus, Rachi, intuitif, devance souvent et parfois s’oppose à Galien, Soranus d’Éphèse, Aristote et Hippocrate. Les exemples des connaissances que le docteur Toledano attribue à Rachi sont aussi divers qu’impressionnants. Rachi, par exemple, connaissait la pratique de la césarienne et, d’une certaine façon, il avait anticipé le succès des neurosciences. Dans le domaine si actuel de la diététique et de l’hygiène alimentaire, Rachi n’est pas en reste : « Manger selon ses besoins est synonyme de santé », « S’habituer à se contenter de nourritures légères », « Avoir l’habitude de ne pas trop manger ».

À propos du diabète et de l’hypoglycémie qui entraîne un appétit irrépressible, notre maître champenois évoque un « boulmous ». « Boulmous », « Boulimie » ? Plus extraordinaire encore : on peut considérer que la notion de « lev hadash » (cœur nouveau) évoquée par le maître dans un commentaire d’Ézéchiel, préfigure les transplantations cardiaques !

Au commencement, nous explique l’auteur, il y avait le livre d’Assaph, le mythique « Sefer refouoth » ou « Livre des remèdes ». On dit qu’il aurait été écrit, sous la dictée d’un ange, par Sem, le fils de Noé. Pour certains commentateurs, l’auteur de ce traité dont on n’a retrouvé aucun exemplaire, serait le roi Salomon. D’autres penchent pour Moïse ! Toujours est-il qu’il s’est trouvé un second Assaph, en l’occurrence Assaf Hayéhoudi, un médecin juif qui vivait au  VIIème siècle. Et c’est justement lui que Rachi cite dans ses commentaires, notamment du Livre des Juges. Assaf, qui a probablement inspiré Rachi, aborde, entre autres, l’anatomie, la physiologie, la circulation du sang, la digestion, la pathologie, le pouls, la palpation, la température ou encore la diététique et la consommation des plantes. Un véritable trésor pour notre rabbin-vigneron !

Loin de toute version théurgique de la médecine, et bien que dans l’une de ses métaphores, Rachi ait écrit que « Dieu crée le remède avant l’apparition de la maladie », il adopte, bien en avance sur son temps, les trois piliers sur lesquels repose la médecine moderne : l’interrogatoire, la clinique et le traitement.

« A-t-il pratiqué  la médecine ? » se demande Ariel Toledano. Et il répond, en toute modestie : « Cette question restera une énigme comme bien d’autres éléments de sa biographie ». Cela dit, si Rachi, qui, comme tous les habitants de Troyes à son époque, possédait une vigne, n’était peut-être pas vigneron, le livre du docteur Toledano nous persuade que Rachi était un véritable médecin. Notamment parce qu’à la lecture de ses écrits, on a le « sentiment de se trouver face à un praticien qui pose selon lui ses indications de traitement ».

Tout au long des chapitres, courts mais incisifs, l’auteur  attire notre attention sur les écrits de Rachi en rapport avec les branches les plus diverses de la médecine : le cœur, la circulation, l’épilepsie et la neurologie, les infections…

Au fil des pages, des raisonnements chiffrés issus de la Guématria, apportent un complément précieux et original à cette recherche.

En fin d’ouvrage, plusieurs annexes dont, pour notre plus grand plaisir et notre édification et dans l’ordre alphabétique, les gloses médicales de Rachi, les « laazim » dont Claude Hagège considère qu’elles constituent « un document rare à assigner au dossier des monuments de l’histoire du français ».

Un volumineux corpus de notes accompagne cette étude aussi savante qu’édifiante. Remarquable !

 

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions In Press. Février 2020. 200 pages. 18 €.

(1) LECTURE DE JEAN-PIERRE ALLALI - LA MÉDECINE DE MAÏMONIDE. QUAND L’ESPRIT GUÉRIT LE CORPS, PAR ARIEL TOLEDANO

 

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