Jean-Pierre Allali
La fiancée du danger. Mademoiselle Marie Marvingt, par Michèle Kahn (*)
Une fois n’est pas coutume. Michèle Kahn, à qui l’on doit notamment « Contes et légendes de la Bible » (1), « Shanghaï-la-Juive » (2), « Le Shnorrer de la rue des Rosiers » (3), « Moi, reine de Saba » (4), « Justice pour le capitaine Dreyfus ! » (5) ou encore « Le Rabbin de Salonique » (6), nous propose la biographie d’une personnalité hors du commun, Marie Marvingt, sportive exceptionnelle qui marqua son époque. On est loin du judaïsme, mais c’est l’occasion de découvrir une héroïne aussi étonnante qu’originale. Fille de Félix Marvingt, un receveur principal des postes qui avait fui avec son épouse, Élisabeth, en 1871, la Lorraine, annexée par les Allemands, Marie a vu le jour à Aurillac en 1875. Très jeune, sous l’impulsion de son père, féru de sport, elle apprend à nager. Plus tard elle participera à la traversée de Paris à la nage ! Et, dans la foulée, elle sera trapéziste, jongleuse, cascadeuse, gymnaste, funambule, automobiliste et cycliste. Sans oublier la passion des aérostats, de l’hélicoptère, du ski, du bobsleigh et du patinage. Dans le sillage de Louis Blériot, de Roland Garros, des frères Otto et Gustav Lilienthal, de Fernand Ferber, de Gabriel et Charles Voisin, les « menuisiers de Billancourt », premiers constructeurs d’avions français, elle se passionne aussi pour l’aviation. Elle sera la troisième femme au monde à obtenir son brevet de pilote. Et, dans la foulée, le tir. En mai-juin 1907, à Pau, lors de la 7ème Fête du Tir, Marie remporte successivement le prix d’honneur au concours international de fusil de guerre à trois cents mètres et le prix d’honneur à la carabine Flobert. C’est le général Picquart en personne, récemment nommé ministre de la Guerre, qui l’a décorée en lui attribuant les palmes de premier tireur de la compétition. Petite anecdote à cette occasion : de nombreux spectateurs profitent de l’occasion pour féliciter le ministre pour son attitude courageuse lors de l’Affaire Dreyfus. Marie, qui ignore tout de l’histoire, se promet de se pencher sur la question pour se faire une opinion.
Marie Marvingt qu’on surnomme très tôt « la fiancée du danger » se met en tête de participer au Tour de France cycliste qui, en 1908, en est à sa sixième édition. Pour les organisateurs de la compétition, Henri Desgranges et Robert Desmarets, il n’en n’est pas question. Il ne manquerait plus qu’une femme se mêle à ces messieurs les coureurs, Petit-Breton, Faber, Passeriau, Ganna et les autres. Qu’à cela ne tienne ! Elle parcourra les mêmes étapes en solitaire, parallèlement. Et elle y parvient !
Pendant la Première Guerre mondiale, elle participera aux combats. Première femme au monde engagée par l’aviation militaire, elle recevra la croix de guerre avec palmes.
Plus tard, lors de la Seconde Guerre mondiale, la « fiancée du danger » sera une adversaire d’Hitler qui la dégoûtait. « Pouah », disait-elle, quand on parlait de lui. Par contre, elle a longtemps admiré le maréchal mais quand elle découvre que c’est un antisémite responsable de la déportation de milliers de Juifs, elle lui retira son admiration. Elle avait gardé en mémoire, sans doute, que, dans sa jeunesse, à Nancy, ses meilleurs amis s’appelaient Berthe et Georges Lévy.
Pour nous narrer cette belle histoire, Michèle Kahn nous transporte, au fil des pages, aux quatre coins de France et du monde, de Nancy à New York en passant par Paris, Chamonix, Gérardmer, Jarville, Mourmelon, Saint-Étienne, Bétheny, Machault, Turin, Londres, Southwold, Monaco, la Grèce, Casablanca, Rabat, Meknès où elle constatera la proximité des Juifs et des Arabes, « mêlés sur les trottoirs des souks », Fez, où elle constatera que les boutiques juives sont fermées en raison de la fête de Pessah, Oran où, en compagnie du président Millerand, elle saluera le Grand rabbin d’Algérie, Tunis, Djerba où elle visitera la synagogue de la Ghriba, la Lybie ou encore Istanbul.
Il va sans dire que cette vie aventureuse n’allait pas sans danger. Marie Marvingt fut victime de nombreux accidents et frôla souvent la mort.
Sportive mais aussi femme de culture Marie Marvingt, qui pratiquait l’esperanto s’est, tout au long de sa vie, intéressée aux arts, aux sciences, aux langues et à la littérature. Sans oublier la graphologie et la chiromancie ! Elle reçut de nombreuses décorations dont la Légion d’Honneur.
Reine de l’Air, femme-oiseau, mère de l’aviation sanitaire, Marie Marvingt ne s’est jamais mariée, « faute de temps ».
Pauvre et oubliée de tous, Marie Marvingt s’est éteinte à Nancy en 1963. Elle avait 88 ans. Ses exploits demeureront à jamais dans les mémoires : entre autres, 17 championnats mondiaux et 34 médailles dans diverses disciplines
Michèle Kahn, avant de se lancer dans l’écriture de ce roman, a lu de nombreux ouvrages et des milliers d’articles de presse, en français et en anglais. Si elle reconnait volontiers qu’elle a brodé librement autour de la vie réelle de Marie Marvingt, elle nous offre une très belle histoire qui montre, s’il le fallait, que la femme a toutes les raisons d’être l’égale de l’homme.
Très sympathique.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Le Passage. Janvier 2020. 256 pages. 19 €.
(1) Éditions Pocket, 1994 et 1995.
(2) Éditions Flammarion, 1997 et Éditions Le Passage, 2015.
(3) Éditions Bibliophane/Daniel Radford, 2000.
(4) Éditions Bibliophane/Daniel Radford, 2004.
(5) Éditions Oskar, 2006.
(6) Éditions du Rocher, 2010.