Par Chloé Blum
Cette année, avec « A l’ouest du Jourdain », Amos Gitai a signé un nouveau documentaire sur le camp de la paix en Israël. Trente-cinq ans après « Journal de campagne », le cinéaste qui a fait les beaux jours du 7ème Art israélien, retourne à ses premiers amours. Cette fois, c’est à la rencontre des organisations et des associations qui œuvrent contre la colonisation qu’il s’est aventuré.
Le documentaire s’ouvre sur un entretien entre Amos Gitai et Yitzhak Rabin, quelques jours avant l’assassinat de ce dernier. Intime, presque inaudible, leur échange est celui de deux grands hommes qui se comprennent sans avoir besoin de se dire grand-chose.
Choisir de commencer ce documentaire par les images saisissantes de l’ancien Premier Ministre n’a rien d’étonnant. Son assassinat par un extrémiste juif en 1995 correspond au début d’une nouvelle ère pour le camp de la paix : celle de la survie.
Après des années de gloire, grâce notamment à leurs actions pendant la première guerre du Liban, les mouvements de paix – Shalom Archav(1) en tête – s’affaiblissent dangereusement.
Du Shalom Archav de ces dernières années, il ne reste que quelques ballons géants qui s’imposent sur la foule pendant les grands rassemblements et des tracts piétinés, sur lesquels on peine à déchiffrer le slogan.
Pourtant, Avi Buskila, qui a pris la tête de l’organisation il y a deux ans, est optimiste. A l’occasion d’une rencontre organisée à Paris par la section française, La Paix Maintenant, il est revenu sur les deux grandes initiatives de cette année.
La première, c’est cette grande manifestation organisée l’été dernier, pour dénoncer les 50 ans d’occupation à laquelle 30 000 Israéliens se sont rendus. La deuxième, c’est cette série de rencontres, mise en place par l’organisation à travers le pays. Ces rencontres sont l’occasion pour Shalom Archav de mieux comprendre les réelles préoccupations des Israéliens et notamment des jeunes.
A propos d’Avi Gabbay, le nouveau leader du parti HaMahane Hatzioni - né en 2015 de la fusion du parti travailliste Avoda et du parti de Tzipi Livni, Hatnuah - Buskila aussi est positif. Il aimerait qu’on lui laisse un peu de temps, et qu’on lui fasse confiance.
Pourtant, Avi Gabbay ne s’est pas facilité la tâche en multipliant les écarts vis-à-vis d’une gauche bien ancrée dans ses valeurs. Depuis quelques mois, le nouveau leader cherche à flouter les lignes et à estomper les contours du grossier clivage gauche/droite.
En piochant tantôt à gauche sur les problématiques sociales, tantôt à droite sur des questions sécuritaires, Gabbay fait quelque chose qui ne se pratique plus à gauche depuis des années : de la politique.
La gauche fait de la politique
Il y a quelques jours, le correspondant du Monde à Jérusalem a signé un article(2) sur le silence du camp de la paix – et plus généralement de la gauche israélienne – après la déclaration de Donald Trump sur le statut de Jérusalem.
Piotr Smolar explique qu’une « onde de satisfaction » a traversé la population israélienne, et que seul le parti d’extrême-gauche Meretz, a fait entendre une « voix divergente ».
En réalité, c’est ce que fait Meretz depuis des années, « faire entendre une voix divergente ». C’est peut-être pour ça que le parti peine à franchir le seuil électoral à la Knesset et ne représente qu’une infime partie de la société israélienne.
A l’image de l’ONG B’tselem, également citée par Le Monde comme exemple de groupe mobilisé pour la paix, Meretz n’a plus de vocation politique. Il a une vocation militante.
Ce qui est loin d’être le cas du Mahane Hatzioni qui entend bien arriver en tête des prochaines élections afin de former la prochaine coalition gouvernementale. Pour cela, il faudra qu’Avi Gabbay brouille les pistes et bouscule tous les codes d’une gauche qui ronronne doucement.
Premier virage effectué, celui qui ouvre la route vers les Séfarades israéliens. Ils sont un peu les oubliés de la gauche, ceux à qui on ne s’adresse pas, foncièrement acquis à la cause du Likoud depuis des générations. Or, Avi Gabbay, dont les parents sont d’origine marocaine, a compris qu’il fallait apprendre à parler à ce groupe éminemment influent et numériquement non négligeable. Ses nouvelles déclarations sur ses origines marocaines sont désormais de tous les meetings.
Certes, la gauche israélienne est essoufflée mais elle respire encore. Si elle doit se réinventer, elle le fera. Avi Gabbay n’est pas seulement un rêveur, c’est un politicien. Et il faudra être le meilleur pour détrôner le maître du jeu politique israélien, Benjamin Netanyahou.
Le cœur à gauche
Que les puristes se rassurent, la gauche d’antan a le poing haut levé.
En Israël, la gauche dépasse largement les frontières strictes du politique. Et c’est ce qu’a visiblement du mal à comprendre Piotr Smolar.
B’tselem, Breaking the silence, Haaretz, Shalom Archav, Women for Peace, New Israeli Fund, voici ceux qui ne se contentent pas d’être de gauche. Voici ceux qui font la gauche. Ceux aussi qui sentent que le pays leur échappe et qui se battent pour le retenir.
Dans les colonnes du quotidien Haaretz, Gideon Levy a la plume alerte et le verbe vif. Il tire plus vite que son ombre et avec la grâce d’un romancier, il dénonce sans relâche et mobilise les esprits et les cœurs pour une gauche vivante et vivace.
Quand Avi Gabbay se permet une sortie de route, il est bon de se réfugier dans les mots militants du journaliste engagé. La gauche, la vraie, celle qui se passait autrefois de tactique politique, existe encore à travers ces articles.
Mais cette gauche d’autrefois, aussi belle a-t-elle été, n’est pas celle qui convient à l’Israël d’aujourd’hui.
Cette gauche d’autrefois, gardons la bien au chaud dans nos cœurs, dans les yeux brillants des Pères fondateurs, et battons-nous pour la gauche du présent : celle qui formera le prochain Gouvernement de l’Etat d’Israël.
1. Organisation pour la paix créée en 1978 en Israël, non affiliée à un parti politique, située au cœur du « camp de la paix » israélien. Existe aussi aux Etats-Unis « Peace Now » et en France « La Paix Maintenant ».
Photo : Novembre 2017 Yonatan Sindel / Flash90