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En novembre 2009, Jeanine Mayer fêtait sa onzième année de présidence du Fonds Social Juif Unifié et ses quarante ans de bénévolat au sein de l’organisation. Elle a depuis laissé son titre, mais pas abandonné le militantisme. Jeanine Mayer est présidente d’honneur du CRIF Rhône-Alpes.
L’ancienne présidente du Fonds Social Juif Unifié évoque ses premières années de militantisme, les grands projets qui ont marqué sa carrière, les missions qu’elle a accepté de continuer à diriger « sans titre », et ses espoirs pour l’avenir de la communauté lyonnaise.
Je suis arrivée en France en 1962 et à Lyon en 1963. Comme tous les pieds-noirs à l’époque, j’ai mis deux ou trois ans à panser les plaies du départ, sans ne m’occuper de rien, et puis en 1967, la guerre des six jours a commencé à réveiller les consciences. Je me suis affiliée à la Wizo et j’allais donc régulièrement à la petite maison communautaire qui existait rue de Marseille à l’époque. C’est là que j’ai rencontré Roger Zaoui, qui était à la fois le délégué régional du Fonds Social et le délégué régional de l’AUJF. C’est grâce à lui que j’ai rencontré les deux autres hommes qui ont marqué ma vie : Gérard Mayer, mon mari, et Marc Aron.
Deux facettes du militantisme radicalement opposées…
Avec Marc Aron, l’aristocrate berlinois, j’ai fréquenté pour la première fois les palais présidentiels et les hautes sphères politiques. Avec Gérard Mayer, c’était un militantisme de terrain : les slogans percutants, les affiches, les manifs etc. La Maison communautaire était un minuscule local au premier étage du 72 de la rue de Marseille, un lieu minable dans un quartier pas très réjouissant où nous nous affairions comme des abeilles.
Quelles étaient vos missions à l’époque ?
La communauté débarquée d’Afrique du Nord avait trouvé, certes, quelques synagogues à Lyon, mais pas de communauté véritablement structurée. Il fallait donc pour les nouveaux arrivants d’autres synagogues et des centres communautaires. Une forte communauté s’était installée à la Duchère, à cause des logements sociaux. Car contrairement à ce que l’on voudrait dire, les Juifs n’étaient pas tous fortunés. Il fallait des structures à ces endroits là (La Duchère, Rillieux, Mézieu). Ça a été le cheval de bataille et la fierté du Fonds Social, que de réfléchir à la question et de trouver les financements pour acheter les terrains et construire ces centres. Deux années plus tard, sont arrivé le problème des Juifs d’URSS et les procès de Leningrad. Nous avons donc édifié un comité de soutien, organisé des manifestations et, pour la première fois dans l’histoire de Lyon, on a vu défiler, dans les rues de la ville, cinq milles Juifs, rabbins en tête.
Comment avez-vous créé les statuts du Fonds Social ?
On ne se préoccupait pas autant à l’époque des problèmes de Tsedaka qu’aujourd’hui. La priorité, c’était les lieux pour se réunir et pour prier. Et puis, après la nourriture spirituelle, on a voulu apprendre aux Juifs à se défendre, non pas avec des armes, mais verbalement, contre les agressions antisémites, et c’est comme cela que nous avons créé à Lyon, à la fin des années soixante, le comité de coordination, qui été le précurseur du CRIF. Des voitures de médecins d’avocats se promenaient dans les rues de Lyon avec des balais et des pots de colle à l’arrière. On se faisait régulièrement arrêter par la police parce qu’on collait nos affiches par-dessus celles du Parti communiste (rires). On a vite réalisé qu’il nous fallait absolument le droit d’afficher, et c’est comme cela que nous avons décidé de nous structurer officiellement. Les premiers statuts ont été déposés au début des années soixante-dix. Il y a eu des élections et un comité élu.
Comment êtes-vous devenue présidente ?
Marc Aron est resté président très longtemps. Il était en même temps président du CRIF. J’étais élue du Fonds Social, j’ai été vice-présidente pendant un mandat. J’étais aussi présidente du CASIL (la branche sociale du FSJU), et membre du comité de coordination, c’est-à-dire membre fondatrice du CRIF. A la fin des années quatre-vingt, Marc Aron est tombé gravement malade. Prévoyant, il m’avait confié à l’avance un certain nombre de dossiers, dont celui de la réalisation de l’Espace Hillel. Ce grand homme est décédé le 31 octobre 1998. A la réunion suivante on m’a proposé d’être présidente, se que j’ai d’abord refusé. Mais nous étions en pleine période de demande de subventions pour l’espace Hillel et il fallait absolument la signature d’un président.
Quel a été votre grand cheval de bataille ?
C’est toujours difficile de dire « je suis fier de », mais il est vrai que pendant mon mandat, j’ai donné une importance particulière au domaine de la Tsedaka. Voila dix ans que nous nous sommes lancés dans cette grande ambition de faire une fête qui réunisse vraiment toute la communauté. Et l’un de mes plus beaux souvenirs, ça a été de voir, à l’espace Tête d’Or, le stand de la communauté libérale à coté du stand Loubavitch. Pour une communauté comme Lyon, où chacun fait trop souvent fait les choses dans son coin, avoir réussi cela, j’en prends une petite part de fierté. Cet aspect de rassemblement communautaire au-delà des différences est quelque chose qui me tient beaucoup à cœur.
Quel est votre plus émouvant souvenir de présidente ?
C’est celui de l’inauguration de l’espace Hillel en présence de Shimon Peres, en mars 2008. Parce qu’Hillel ouvrait enfin ses portes, après douze ans de lutte et d’attente. Je dis souvent en plaisantant que c’était presque comme une Bar Mitzvah. Douze ans d’enthousiasme, de découragement aussi parce que le premier projet a capoté. Douze ans de lutte. Pendant lesquels une toute petite poignée d’irréductibles ont continué d’y croire, alors que beaucoup avaient abandonné le navire en cours de route, en disant « ça ne se fera jamais ». J’ai été la maitresse de cérémonie à double titre, à la fois en tant que présidente du FSJU, qui était porteur du projet, et en tant que membre du conseil d’administration. Ce qui a été surtout très émouvant, c’est que Shimon Peres, qui est le dernier Grand d’Israël, nous ait fait l’honneur de sa présence.
Vous abandonnez la présidence à Jean-Luc Médina, mais vous conservez un certain nombre de missions…
J’ai adressé ma lettre à tous les présidents des associations en septembre 2009, en expliquant bien que je ne quittais pas le Fonds Social mais que je déposais la responsabilité de la présidence, et je sais qu’elle est en de très bonnes mains. Je me retrouve donc, non plus présidente de l’institution, mais présidente de campagne, pour la Tsedaka. Je conserve deux autres missions sans titre, pour des raisons géographiques : je continue à représenter le FSJU au bureau exécutif du CRIF, et je conserve aussi la responsabilité de la représentation du Fonds Social au niveau du SPCJ régional.
Quelles sont vos espoirs et vos préoccupations pour la communauté ?
Je vois un bel avenir à l’éducation et aux écoles juives. Je crois que le travail social est essentiel, et pas seulement au niveau de la pauvreté mais aussi pour les personnes âgées et le handicap. Au niveau culturel, je crois en l’ouverture sur la cité, avec nos autres partenaires. La culture juive est une merveilleuse culture, il ne faut pas se contenter de la montrer en vase clos. Ce qui m’inquiète le plus, c’est l’avenir de la communauté en tant que telle, parce que nous avons perdu cette forme d’existence au profit du morcellement et de l’individualisme. Je souhaite à la communauté qu’elle soit plus unie et un peu plus fraternelle. Nous sommes une petite minorité et nous avons vraiment besoin d’être tous ensemble. Et que chacun fasse un geste pour aider les autres.
Entretien publié dans Actualité Juive en décembre 2009.