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L’auteure refuse la banalisation d’une très sale guerre. Elle la raconte à point nommé, car la lutte contre l’« État islamique » (EI) occulte aujourd’hui l’affrontement continu, vieux de plus de trois ans déjà, entre le régime de Bachar Al-Assad et une rébellion multiforme. Journaliste franco-marocaine, installée à Beyrouth et parlant l’arabe, Sofia Amara relate dans Infiltrée dans l’enfer syrien ses trois longues immersions au cœur de cette tourmente sans fin.
Son témoignage vient compléter, parmi d’autres, ceux de Jean-Pierre Perrin (La mort est ma servante, Fayard), de Jean-Pierre Filiu (Je vous écris d’Alep, Denoël) et d’Hala Kodmani (La Syrie promise, Actes Sud). À sa manière, celle d’un récit heurté, chaotique, collecté au fil de reportages pour la télévision, Amara raconte la même histoire : la folie meurtrière d’une tyrannie monstrueuse, celle du Président Bachar Al-Assad, engendrant, en retour, les dérives d’une rébellion progressivement gagnée par l’islamisme.
Enfants suppliciés
Ce n’était pas écrit à l’avance. L’un des grands mérites de l’ouvrage de Sofia Amara est de restituer, au cours de périples de plus en plus risqués,au gré de rencontres avec des femmes et des hommes admirables, les trois temps de l’insurrection syrienne. Quand la journaliste arrive à Damas, au début 2011, c’est la bourgeoisie qui, suivant les exemples tunisien et égyptien, manifeste. Dans la rue, Musulmans d’obédiences diverses et Chrétiens côte à côte, une partie de la jeunesse éduquée, « connectée », dit son ras-le-bol d’un régime qui, depuis quarante ans, ne gouverne que d’une manière : la terreur.
Le clan au pouvoir, le Baas, parti nationaliste et laïc, est essentiellement alaouite, secte dissidente du chiisme (la branche minoritaire de l’islam). Il s’appuie sur les autres minorités d’un pays pluriethnique et multiconfessionnel – les Chrétiens, les Druzes, les Kurdes. À ce stade de la révolte, le régime n’a pas grand-chose à craindre. Mais sa « génétique » l’emporte : il fait tirer à balles réelles sur les manifestants, il les fait enlever, torturer par ses sbires. Sa propre violence va gonfler les rangs des révoltés.
À la mi-mars, des enfants de la petite ville de Deraa, dans le sud du pays, sont suppliciés par les services de sécurité. Leur crime ? Des graffitis anti-régime sur un mur d’école. Ils appartiennent à la majorité sunnite du pays : agriculteurs et petits commerçants. Celle-ci va basculer dans la révolte. Très vite, le régime affronte une insurrection de masse, mais toujours pacifique.
Au printemps 2011, réflexe d’auto-défense et radicalisation prévisibles, la révolte entre dans une deuxième phase, celle de la militarisation. Les insurgés prennent les armes. Des « officiers libres » désertent, une Armée de la Syrie libre (ASL) est constituée. Cette évolution n’est pas pour déplaire à Bachar Al-Assad. Elle lui donne prétexte pour libérer plus de violence encore : chars, aviation, mortiers lourds. La mobilisation d’une partie de la communauté sunnite, où les Frères Musulmans sont actifs, l’autorise à jouer sur les peurs des minorités – et à rallier certaines d’entre elles… Lire la suite.
Infiltrée dans l’enfer syrien (Stock, 255 p., 19 €)
Source: http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/10/23/la-tres-sale-guerre-syrienne_4511428_3232.html