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L’extension du domaine djihadiste depuis une quinzaine d'années met à mal l'idée qu'on se fait de l'humanité. On a, à ce titre, longtemps attendu le film qui prendrait la mesure artistique – et non seulement sociologique, politique ou spectaculaire – de ce phénomène des confins. L'œuvre qui remplirait la gageure de faire esthétiquement exister une manifestation aussi peu soucieuse, elle, des représentations de l'humanité.
Vieux dilemme de l'art confronté à la monstruosité. Comment la saisir sans la trahir ou se trahir soi-même ? Comment la restituer sans s'y abîmer ? Comment la transmettre sans l'édulcorer ? Peu d'œuvres y seront parvenues, quel que soit le nom dont le crime se pare devant l'Histoire : la loi dans Antigone (Sophocle), la guerre dans Les Désastres de la guerre (Goya) ou Guernica (Picasso), le génocide dans Shoah (Claude Lanzmann) ou S21 (Rithy Panh), l'humiliation dans Chronique d'une disparition (Elia Suleiman).
Ce grand film de l'horreur djihadiste, le voici donc sur les écrans avec Timbuktu, d'Abderrahmane Sissako. Un mot de l'auteur. Mauritanien d'origine, élevé au Mali, formé au cinéma en Union soviétique, installé à Paris, Sissako n'accroche que quatre longs-métrages – La Vie sur terre (1998), En attendant le bonheur (2002), Bamako (2006) et Timbuktu (2014) – à une carrière inaugurée en 1989. Quand on sait l'immense talent qui est le sien, un constat aussi parcimonieux fait enrager. Le côté positif, c'est que chacun de ses films est comme le concentré d'un long mûrissement qui infuse dans votre tête de manière inoubliable. Cela tient à la manière qu'a Sissako de filmer le monde, nouant image et récit en une cristalline dentelle tendue au-dessus de l'abîme. Déchirante force de ce cinéma, qui tient dans sa fragilité. Terrassante beauté de ce cinéma, qui tient dans sa précarité. Il en va ainsi de Timbuktu, qui ajoute à une exceptionnelle qualité artistique les résonances funestes de l'actualité… Lire la suite.
Film franco-mauritanien d'Abderrahmane Sissako. Avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri, Fatoumata Diawara, Hichem Yacoubi (1 h 37).