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Publié le 31 Janvier 2007

Une Brève histoire de l’avenir Par Jacques Attali

Où va la planète Terre ? Que sera notre monde dans cinquante ans, dans cent ans ? Il est légitime de se poser la question, car, affirme en préambule Jacques Attali, « Aujourd’hui se décide ce que sera le monde en 2050 et se prépare ce qu’il sera en 2100 ». Pour se lancer dans ce travail inouï de prospective futuriste, l’auteur commence par brosser un tableau de la très longue histoire de l’humanité qu’il décrit comme dessinée par une force constante toujours en marche : celle de la libération progressive de l’homme vis-à-vis de toutes les contraintes. Il y a sept millions d’années, probablement à la suite d’une grande sécheresse, deux primates, Toumaï au Tchad et Orrorin au Kenya descendent des arbres et se dressent sur leurs deux jambes. C’est le début de l’aventure humaine qui, de millions d’années en millions d’années va passer de l’Homo habilis à l’Homo rudolfensis pour aboutir successivement à l’Homo ergaster, l’Homo erectus, l’Homo sapiens, l’Homo heidelbergensis, l’Homo neandertalis et, enfin, à l’Homo sapiens sapiens.



Vers 1300 avant notre ère, l’idéal judéo-grec avec sa passion du progrès, de la métaphysique, de l’action, du neuf et du beau, baigne le monde. Plus tard, vers le milieu du XII ème siècle, l’islam triomphe en Orient, mais, en se fermant à la science, il décline, laissant la place à l’Ordre marchand avec ses « villes-cœurs » qui joueront le rôle de centres stratégique de la planète. Neuf cités phares vont ainsi se succéder jusqu’à nos jours : Bruges (1200-1350), Venise (1350-1500), Anvers ( 1500-1560 ), Gênes (1560-1620), Amsterdam (1620-1788 ), Londres (1788-1890), Boston ( 1890-1929), New York (1929-1980 ) et Los Angeles ( 1980- ? ). Pour chacune de ces grandes périodes, Jacques Attali examine le rôle clé des communautés juives, toujours en pointe dans l’évolution des progrès.
Nous vivons actuellement une époque charnière, affirme l’auteur, car le temps n’est plus très loin de la fin de la neuvième forme et de l’Empire américain. Un nouveau cœur planétaire va voir le jour. Où sera-t-il situé ? Bien que le nombre de futurs possibles soit presque infini et dépende en grande partie des réponses aux questions essentielles que nous nous posons sur les pays arabes, sur l’Irak et sur sa bombe, sur la paix au Moyen-Orient, sur la Corée du Nord, ou encore sur l’éventualité d’une guerre entre islam et chrétienté, des hypothèses peuvent être énoncées : De nouvelles puissances économiques et politiques émergeront parmi lesquelles Israël jouera un rôle particulier. Le dixième cœur a de fortes chances d’être encore situé aux États-Unis. Mais l’islam, à condition d’instaurer sur ses terres une « liberté intellectuelle aujourd’hui impensable », rêvera aussi d’accueillir ce nouveau cœur, au Caire, à Ankara, à Bagdad ou à Djakarta. Toutefois, il n’est pas interdit d’imaginer ce cœur à Jérusalem, devenue, dit Jacques Attali, capitale de tous les États de la région, enfin en paix les uns avec les autres. Ville-monde même-pourquoi pas ?-capitale planétaire des démocraties de marché, ou capitale d’une démocratie de marché planétaire »
Voilà pour le futur cœur du monde. Mais ce monde de demain, que sera-t-il en pratique ? Attali nous promet un hyperempire, un hyperconflit puis une hyperdémocratie. Dans un monde devenu polycentrique, des hypernomades dirigeront la planète et des infranomades bousculeront les frontières pour chercher une place au soleil. De nouveaux objets feront leur apparition : les robots domestiques ou surveilleurs. Ce sera le règne de l’hypersurveillance. « Plus rien ne restera caché ; la discrétion jusqu’ici condition de la vie en société, n’aura plus de raison d’être. Tout le monde saura tout sur tout le monde ; on évoluera vers moins de culpabilité et plus de tolérance ». On verra apparaître des avions-taxis, un objet nomade universel servira à la fois de téléphone, d’agenda, d’ordinateur, de lecteur de musique, de téléviseur, de chéquier, de carte d’identité et de trousseau de clés. La plupart des médias papier deviendront virtuels. Deux industries domineront l’économie mondiale : l’assurance et la distraction et l’on passera de l’achat à l’accès. Ce sera la domination du « cirque » et du « théâtre ». Parallèlement les biotechnologies et les nanotechnologies se développeront de manière exponentielle. On inventera la gelée bleue et la gelée grise, des armes absolues. On pourra reproduire-au moins virtuellement-une personne disparue ou fantasmée. Des hôtels seront installés sur la Lune puis sur Mars. Dans les familles, les parents, pour l’essentiel, seront séparés et les formes les plus diverses de sexualité seront tolérées à l’exception de l’inceste, de la pédophilie et de la zoophilie. La natalité baissera, même dans les pays musulmans, une masse de Chinois envahira la Russie, l’Occident sera peu à peu submergé par l’immigration.
Mais, malgré toutes ces innovations, l’avenir de la planète apparaît très sombre : partout, les stocks énergétiques baissent. L’humanité a déjà consommé la moitié de la capacité des plantes à photosynthétiser la lumière solaire. Il n’y a plus que 230 ans de charbon disponible, 70 ans pour le gaz et 50 ans pour le pétrole. Les espèces animales risquent de chuter de 90%.
Sans oublier le « temps qui est, en fait, la seule réalité vraiment rare : nul ne peut le produire ; nul ne peut vendre celui dont il dispose ; personne ne sait l’accumuler ». Le temps, dit Attali, c’est finalement Dieu.
Et la France, dans tout cela ? « Elle va mal » nous dit l’auteur ». « Son économie est incertaine, sa cohésion sociale est menacée, ses finances en danger, son influence internationale affaiblie ». La France, qui n’a jamais abrité de « cœur » parce qu’elle « n’a su, à aucun moment, souscrire aux lois de l’histoire de l’avenir » risque de sombrer dans la crispation identitaire. Si elle n’y prend pas garde, « un jour elle disparaîtra comme ont disparu avant elle, tant d’autres grandes nations convaincues de l’éternité de leur destin ».
Un avenir qui, malgré la promesse de l’émergence espérée d’une hyperdémocratie, fait froid dans le dos mais donne à réfléchir. Un hyperlivre.
Jean-Pierre Allali

(*) Éditions Fayard. Janvier 2007. 432 pages. 20€.

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