The Destruction of the European Jews a été publiée en 1985 à New York et, en 1988, en France.
La nouvelle édition qui vient de paraître est considérée par l’auteur comme mise à jour et définitive.
C’est un travail exhaustif de près de 2500 pages qui nous est proposé. Tout y est ou presque et l’auteur, bien qu’il ait peaufiné à l’extrême, au fil des ans, son analyse, avoue humblement : « En dépit des ajouts et des corrections, l’ouvrage n’est ni complet ni exempt d’erreurs. Tout ce que je puis dire, c’est que j’ai essayé d’écrire le tableau le plus complet et le plus fiable que puisse composer un auteur seul. Tel a toujours été mon objectif principal ».
Le génocide du peuple juif est examiné comme un processus, avec ses étapes successives, ses structures de destruction qu’il convient de définir, ses victimes définies par décret qu’il convient d’identifier. L’expropriation, la concentration, les opérations mobiles de tuerie, les déportations, les centres de mises à mort. Par-delà la dimension éthique d’une catastrophe au demeurant indicible, la Shoah, le génocide des Juifs, qu’il préfère appeler « Holocauste », est d’abord, nous rappelle Hilberg, un fait historique. « En cela, il est justiciable des procédures qu’applique l’historien à ses objets d’étude ». Pendant des années, seul, très peu encouragé à ses débuts, Raul Hilberg a dépouillé des milliers de documents, ceux des procès de Nuremberg, ceux de la Bibliothèque du Congrès, ceux du YIVO Institute, ceux des archives communautaires juives, ceux du United States Holocaust Memorial Museum de Washington, ceux découverts en ex R.D.A, en Pologne, en Ukraine, en Biélorussie, en Russie et dans les pays baltes, ceux, enfin, du Federal Records Center d’Alexandria en Virginie.
Trois axes de recherche ont été définis, trois rôles, en somme : « celui des fonctionnaires allemands qui se transmettaient des mémorandums de bureau à bureau, conféraient des définitions et des classifications, élaboraient des lois publiques ou des directives secrètes et poursuivaient toujours leur implacable action contre les Juifs ; celui de la communauté juive, prise au piège de cette prolifération hostile, et dont nous verrons surtout ce qu’elle fit, ou ne fit pas, pour réagir à l’assaut allemand ; et celui du monde extérieur qui, assistant au drame, en fut par là même, un des participants ». Ces principes posés, on entre dans le vif du sujet pour une lecture longue, passionnante et édifiante. Même pour ceux qui ont beaucoup lu sur la question.
Remontant à l’Empire romain, l’auteur décrit les précédents, les actions destructrices menées contre le peuple juif, qu’il résume ainsi : « Il y a eu, depuis le quatrième siècle de notre ère, trois politiques antijuives successives, celle de la conversion, celle de l’expulsion, celle de l’annihilation. La deuxième apparut en remplacement de la première, et la troisième surgit en remplacement de la deuxième ». Raul Hilberg se penche ensuite sur les antécédents en répondant à la question : « Dans quelle mesure, en 1933, le terrain était-il préparé pour une action antijuive ? ». Dès lors, les fondements sont posés pour un examen en profondeur et en détail de la catastrophe. Les chapitres successifs sont une exploration minutieuse du monde de l’horreur. Des «Structures de la destruction » aux « Réflexions », aux « Conséquences » et aux « Implications » qui permettent d’aborder la question des génocides récents comme celui des Tutsis, en passant par « Les déportations » qui occupent un volume entier, tout est exploré et analysé avec rigueur. Les notes sont nombreuses et très utiles. Des listes nominales et des statistiques complètent l’ouvrage.
Certes, les années ont passé et Hilberg est resté Hilberg avec les défauts qu’on lui a souvent reprochés : la minoration du rôle des résistances juives, son appréciation des questions touchant à l’évaluation des spoliations ou un regard général qui ne semble pas sensible au point de vue des victimes et qui demeure trop indulgent à l’égard du rôle de Vichy.
Reste un monument incontestable, fruit d’une vie de labeur.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Gallimard. Folio Histoire. Septembre 2006. 2414 pages en trois volumes.