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Publié le 11 Mai 2007

Demain, nous partons Par Françoise Ouzan (*)

Pour un premier roman, c’est une réussite. Malgré le sujet grave et douloureux, voici un récit alerte qu’on lit d’une traite, l’histoire d’une femme, marquée par le drame de la déportation, qui va, peu à peu, en quittant l’Europe meurtrie et maudite, réapprendre à vivre sur des terres lointaines.


L’héroïne, Rébecca Samuelson, née à Varsovie, étudiante en philosophie à Paris, a été déportée à Auschwitz. Elle a tout perdu et, miraculeusement épargnée, elle se retrouve, en 1946, après maintes pérégrinations, à Bergen-Belsen, dans un camp de personnes déplacées, une DP, qui, par son statut même d’ « infiltrée » de paria dans l’impossibilité de retrouver une résidence après la perte de son foyer, embarrasse vaincus et vainqueurs. Son « crime » ? : avoir rejoint un camp de réfugiés en Allemagne après le massacre des survivants dans leur Pologne natale. Bref, une personne de trop sur cette terre. La rencontre d’autres rescapés, eux aussi désemparés, Jonathan, le sioniste, qui milite pour un départ en Palestine où une vie entièrement nouvelle de pionniers, aux côtés de David Ben Gourion et du yishouv, est à reconstruire, Frank, médecin d’origine tchèque, qui rêve de l’Amérique et la jeune et fragile Léna, violoniste talentueuse, qui fit partie des orchestres de vitrine du camp de Theresienstadt. Sans oublier le rabbin, Rav Élie, qui, contre vents et marées, cherche à insuffler aux uns et aux autres, un peu de sentiment religieux.
Dès lors, les objectifs et les espoirs de Rébecca sont partagés entre le désir très fort d’Amérique et le besoin de renouer avec l’Israël de ses pères. Les mois passés au camp, en attendant que les formalités, toujours très longues-les Américains se méfient des communistes infiltrés et leurs exigences sont aussi variées que difficiles à satisfaire-sont aussi une manière de retrouver ses repères en célébrant, comme avant, les fêtes juives, Hanouka, avec ses chandelles et ses beignets, Tou Bi-Chevat avec sa végétation à planter ou encore Pourim, avec ses gâteaux spécifiques, les homentasche.
Lorsqu’enfin Rébecca, qui peut se prévaloir d’un oncle en Amérique, obtient son affidavit, le précieux sésame qui l’autorise à tenter l’aventure américaine, le groupe d’amis éclate. Jonathan et Léna ont choisi la Palestine. Avec Frank, qu’elle épouse, ils optent pour les Etats-Unis. Les voilà à bord du Marine Marlin en route pour le Nouveau Monde, scrutant, dans la brume, l’apparition de la statue de la Liberté. Enfin, l’Amérique est là, mais ce n’est pas l’Eldorado espéré. Les Américains, les Juifs notamment, ne se révèlent pas aussi accueillants que prévu. On les dirait gênés par ces Européens mal dégrossis à leur goût qui risquent de remettre en question leur intégration réussie et d’attirer malencontreusement les regards sur eux. Frank et Rébecca se retrouvent dans le Midwest, à Kansas City. La vie n’est pas rose, leur logement insalubre fourmille de cafards et d’araignées, les diplômes tchèques de Frank ne sont pas reconnus et Rébecca est malheureuse de devoir porter les vêtements usagés d’une lointaine cousine qui les reçoit du bout des lèvres. Même en Amérique, ils sont toujours des Refujews !
Mais, peu à peu, l’adaptation se fait. Frank est régularisé et Rébecca réalise son rêve : elle devient journaliste et part en mission…en Israël à la veille de l’Indépendance du pays. Retrouvailles, émerveillements, mais aussi violence et drames.
Plus tard, la naissance tant espérée d’un enfant, Nathaniel, va semble-t-il, remettre en question le choix des États-Unis et le livre s’achève sur une mystérieuse affirmation : « Demain, nous partons ». Vers Israël ? Qui sait ?
Très sympathique.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Bibliophane/Daniel Radford. Janvier 2007. 234 pages. 20€