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Publié le 2 Novembre 2015

Tribune de Roger Cukierman dans le Figaro

"La France a besoin de confiance, d'apaisement et d'unité"

Par Roger Cukierman, président du CRIF, publié dans le Figaro du 31 octobre 2015
 
De très nombreuses personnalités, incarnant la société française dans sa diversité, ont participé à cet événement. Ce que nous avons voulu faire entendre à cette occasion, au-delà des polémiques, des incompréhensions, des malentendus, c’est une idée simple : il est possible de vivre ensemble. 
 
Nos sources d’inspiration et lignes d’action sont : le dialogue ; la connaissance ; la fidélité. 
 
Le dialogue, d’abord. Avec les représentants des cultes catholique, musulman et protestant de France, nous attesterons que s’affirmer tel que l’on est, ce n’est pas s’éloigner des autres, c’est faire un pas vers eux. Nous montrerons que la rencontre des mémoires et des identités est un enrichissement pour la collectivité tout entière. 
 
Dialogue des consciences, donc, mais aussi des pensées. Le CRIF invite à dialoguer, y compris ceux qui ne sont pas d’accord entre eux et c’est ce désaccord qui est fécond. Car personne n’a raison contre tous les autres. Face aux dogmatismes et aux intégrismes, c’est la faculté de douter que nous tenons chaque jour à illustrer et réhabiliter -cette possibilité de raisonner contre soi-même qui est la condition de toute pensée. 
 
Le dialogue, mais aussi la connaissance. Car il ne s’agit pas de convaincre, mais de savoir et donc de comprendre. 
 
Comprendre, avant tout, l’histoire, toute l’histoire, sans concurrence des mémoires. Car on ne construit rien dans l’ignorance de ce qui fut. Une société, c’est d’abord un passé. Un pays, c’est d’abord un héritage. Une nation, c’est la fierté de ce qui nous a élevés et la lucidité sur les événements passés, sans lesquelles il ne peut y avoir de volonté véritable de continuer ensemble. 
 
Mais comprendre, connaître, c’est aussi transmettre. L’enjeu est décisif. Il ne doit être ni ignoré ni sous-estimé. Il y a en France une crise sans précédent de l’enseignement, où l’information est fragmentée, où les repères sont disloqués et où les théories du complot s’épanouissent dans l’insolence de l’impunité. Le débat est légitime et il a lieu : que peut-on faire pour regagner les territoires perdus de la République ? Comment faire pour répondre à ce défi ? Notre but, à tous, dans la diversité de nos approches et de nos convictions, est de veiller à ce que la chaîne de la transmission, de la connaissance et de l’histoire soit rétablie. 
 
Permettez-moi également d’insister sur une valeur à laquelle nous aimerions rendre son actualité : la fidélité. 
 
Fidélité à l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes. Pour nous, Français juifs, toute occasion est bonne de redire, devant la société française et ses représentants, notre fierté d’être juifs, notre volonté d’entretenir la flamme de cette mémoire vive et blessée, notre détermination à ne pas lâcher le fil d’or qui nous relie à une idée ancestrale de l’homme, exprimée en hébreu il y a des dizaines de siècles. L’occasion aussi d’assumer et d’expliquer notre lien profond et indéfectible avec l’Etat d’Israël, cette petite démocratie qui porte le nom d’un peuple martyr, et dont les habitants, aujourd’hui, à nouveau, sont les victimes d’une haine aveugle. 
 
Fidélité, bien sûr, à la République française. C’est elle qui nous rassemble. 
 
La République, ce sont des droits : celui de penser, d’écrire, de dessiner ce que l’on veut, celui d’aller et venir, celui de choisir sa vie. 
 
La République, ce sont des principes : la laïcité, la liberté de conscience, le respect des autres, la protection des plus faibles, l’obligation de ne rien céder face à l’intolérance. 
 
La République, c’est surtout une responsabilité. Car la République est entre les mains de chacun d’entre nous. A un mois des élections régionales, nous rappelons notamment ceci, qui est simple : il faut voter. La démocratie est un bien trop précieux pour être abandonné à la désinvolture de ceux qui, n’ayant jamais rien connu d’autre, n’en connaissent plus le prix. Et le CRIF, bien sûr, n’a pas à se prononcer dans le cadre d’une campagne électorale, mais il a plus que le droit, il a le devoir d’appeler à ne pas voter pour le Front national. Car l’extrême droite, marquée par un passé xénophobe, raciste, obscurantiste, ne répond pas aux problèmes ; elle les entretient, pour créer la peur qui est la condition de son succès. Elle n’est pas la France : elle est tout ce qui, dans notre histoire, a égaré notre pays et lui a fait oublier son âme. Sur un autre plan, cet avertissement vaut également pour l’extrême gauche dont les expressions antisionistes intolérables contribuent à l’antisémitisme.
 
En somme, près d’un an après les massacres qui ont profondément bouleversé le peuple français, le CRIF, fidèle à ses racines qui plongent au cœur de la Résistance, consacrera, lors de sa convention nationale le 1er novembre, une journée à l’engagement, à l’amour de la République, et surtout à la rencontre, à la compréhension des autres. Car nous en sommes convaincus : la France a besoin d’apaisement, de confiance et d’unité. Nous essaierons, à notre mesure, d’y contribuer.