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Publié le 30 Mars 2016

Shimon Pérès : "Nous assistons à la transition d'un monde ancien vers un monde nouveau"

"Il faut bâtir de nouvelles industries en Afrique et au Moyen-Orient, donner un avenir à ces gens, transformer des zones de danger en nouveaux marchés".

Propos recueillis par Philippe Gélie, publié dans le Figarovox le 30 mars 2016
 
Shimon Pérès, 92 ans, ancien premier ministre et ancien président d'Israël, préside  aujourd'hui le Centre Pérès pour la paix.
 
Le Figaro : Que vous inspire la situation du Moyen-Orient aujourd'hui?
 
Shimon Pérès : J'essaie de regarder le monde avec une perspective plus large. Ce à quoi nous assistons, c'est la transition d'un monde ancien vers un monde nouveau. 
 
C'est la fin des territoires et de leur conquête. Nous passons de l'époque des terres et des guerres à un nouvel âge, totalement différent, qui repose sur la science. La science n'est pas quelque chose que l'on doit conquérir par la force. Vous ne pouvez pas l'enlever à quelqu'un, vous n'avez besoin d'affaiblir personne. Le problème est qu'à ce stade, nous ne sommes pas totalement sortis du monde ancien et nous ne sommes pas complètement entrés dans le monde nouveau.
 
Daech semble en effet plus inspiré par le Moyen-Âge...
 
La guerre a un but, le terrorisme est une protestation. Les djihadistes disent: «Vous nous avez insultés, on va vous couper la tête.» Ils sont religieux, ils veulent changer le système et ils pensent qu'ils ont un droit à faire valoir. Mais ils n'ont pas de programme, pas de message à part la vengeance.
 
Le progrès peut-il venir à bout de ces idéologies?
 
En elle-même, la science est neutre. Vous ne pouvez pas entrer dans le nouveau monde avec des armes, et vous ne pouvez pas sortir de la pauvreté sans la science. On voit bien que cette révolution a déjà changé l'économie mondiale et affecte les systèmes de gouvernement. 
 
Les dirigeants ont le pouvoir mais ils n'ont pas le soutien des peuples. Les grandes entreprises internationales n'ont pas besoin des politiques, elles n'ont pas besoin d'armes, elles sont élues tous les matins par leurs clients. Ce sont elles qui possèdent la richesse, 27.000 milliards de dollars de réserves! Cela change le sens de la démocratie. Aujourd'hui, l'égalité des droits, c'est le droit pour chacun d'être différent. Celui qui opte pour la discrimination a perdu.
 
Aux gouvernements de s'adapter?
 
C'est la fin d'un système. Il y a une économie globale mais il n'y a pas de gouvernement global. Dans le monde nouveau, on ne peut plus diriger, il faut servir. Les gouvernements actuels produisent de l'inégalité sociale au lieu de la réduire. Les jeunes générations veulent une meilleure éducation, une vie meilleure, c'est pourquoi elles protestent. On le voit partout, au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe, en Amérique.
 
Les attentats qui frappent l'Europe montrent que le monde ancien n'a pas disparu...
 
Si l'on part se battre contre le terrorisme, il revient à notre porte. Ce qu'il faut, c'est se battre contre les raisons du terrorisme: le sentiment d'infériorité, le manque d'éducation, de médicaments, de nourriture, la discrimination des femmes… Lorsqu'une femme n'est pas éduquée, la victime est l'enfant. Et ceux qui ont reçu une éducation doivent pouvoir travailler. Il faut que les entreprises aident les jeunes générations. Au Moyen-Orient, 65 % de la population a moins de 28 ans. Travaillons avec les jeunes!
 
Pourtant, des milliers de jeunes, y compris chez nous, partent rejoindre Daech...
 
Combien? 10.000? 20.000? Mais des millions n'y vont pas. Il faut leur donner un autre choix: leur expliquer la religion et parallèlement leur donner les moyens de vivre. Prenez l'Égypte: la population a été multipliée par cinq en cinquante ans, mais le reste n'a pas suivi. Le Nil s'assèche, l'Éthiopie construit un barrage qui inquiète les Égyptiens… Aujourd'hui, la science est capable de multiplier chaque goutte d'eau par cinq ou six. La jeunesse arabe et africaine commence à bouger, nous devons l'aider. Quand on a une approche globale, on n'a plus de frontière et on n'est pas nationaliste... Lire l'intégralité.