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À la suite de la multiplication récente d’incidents, le ministère des Affaires étrangères se prépare à renvoyer 3000 Sud-Soudanais dans leur patrie
Mercredi 23 mai 2012 dernier, une manifestation d’une violence exceptionnelle s’est déroulée dans le quartier Hatikva (l’espoir) du sud de Tel-Aviv. Plus d’un millier d’Israéliens ont défilé, scandant des propos appelant le gouvernement à expulser les immigrés illégaux.
La police a procédé à dix-sept arrestations, dont les auteurs d’agressions contre des Soudanais ; d’autres protestataires ont incendié des poubelles, saccagé les devantures de commerces servant la communauté africaine, brisé la fenêtre d’une voiture transportant des personnes de couleur, ou encore, forcé un taxi-minibus à s’arrêter, tapant sur ses vitres, et cherchant parmi ses passagers la présence d’immigrés.
Des manifestations similaires ont eu lieu simultanément à Bnei Brak, Ashdod, Ashkelon et Eilat.
Plus de 60000 immigrés, soit 40000 migrants économiques et 20000 demandeurs d’asile d’origine africaine, ont, ces cinq dernières années, établi résidence dans les alentours de la station centrale de bus de Tel-Aviv. Les autochtones se plaignent de la misère créée par cette nouvelle population, ainsi que de la multiplication des larcins et des agressions sexuelles.
Le gouvernement n’a, jusqu’ici, pris aucune mesure concrète afin de résoudre ce problème ; au contraire, il l’a envenimé, en laissant entrer des milliers d’hommes sur son territoire, mais en les condamnant à la pauvreté et à la criminalité, en ne leur accordant pas de permis de travail, et en les orientant, de surplus, en masse vers le sud de Tel-Aviv.
Les récentes agressions commises par les résidents des quartiers sud de Tel-Aviv sur la population noire ont au moins eu le mérite d’amener les autorités à réaliser l’ampleur du problème social lié à l’immigration illégale.
D’un côté, le désarroi des immigrés, et de l’autre, celui des indigènes.
Le ministre de la Protection de l’Environnement, Gilad Erdan (Likoud), s’étant rendu dans les quartiers sud de la mégapole économique, a indiqué que "la vie de dizaines de milliers d’Israéliens avait dramatiquement changé", et que ceux-ci "ne se sentaient plus vivre dans l’État d’Israël". Suite à sa visite, il a déclaré que, "en dépit de volonté de traiter les réfugiés démunis, ayant souffert dans leur pays, de manière humaine, en tant que ministre, il était d’abord responsable du bien-être de ses concitoyens".
Les autres ministres, à l’instar de Gilad Erdan, s’accordent sur la nécessité de renvoyer les immigrés illégaux dans leurs pays d’origine.
Le ministre de la Protection de l’Environnement ajoute que les immigrés ne sont pas tous violents ou alcooliques, mais qu’un problème social s’est créé, auquel le gouvernement doit remédier.
Pour Erdan, les immigrés illégaux ont "fui la violence et le désespoir" de leur pays, mais il est nécessaire de les renvoyer, "autrement, la pauvreté et la misère grandiront ici également".
À la suite de la multiplication récente d’incidents, le ministère des Affaires étrangères se prépare ainsi à renvoyer 3000 Sud-Soudanais dans leur patrie. Toutefois, Israël est signataire de la Convention 1951 de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés, qui stipule qu’une personne fuyant son pays en raison d’une crainte fondée de persécution ne peut être déportée du pays dans lequel elle s’est réfugiée. De ce fait, la Cour de District de Jérusalem a prononcé une décision temporaire stipulant l’interdiction de déporter des immigrés.
Or, le ministère des Affaires étrangères, afin de défendre sa décision, se base sur un rapport de l’ambassadeur israélien au Sud-Soudan, Dan Shaham. S’y étant rendu au mois d’avril dernier, le représentant officiel était chargé d’examiner la situation sur place afin de conclure s’il était approprié ou non de renvoyer les ressortissants sud-soudanais dans leur pays.
Il s’agit de répondre à une interrogation significative, puisque, si la loi internationale interdit effectivement à un pays d’expulser des étrangers dont la vie serait exposée à un danger clair et immédiat, elle n’oblige toutefois pas un pays à accorder sa protection à des réfugiés pour des raisons socio-économiques.
Le procureur général d’Israël, Yehuda Weinstein, envisage de défendre, la semaine prochaine, devant la Cour de District de Jérusalem, l’absence d’obstacle légal relatif à l’expulsion des 3000 Sud-Soudanais concernés, afin que le tribunal lève l’ordre interdisant leur expulsion.
Weinstein a affirmé mercredi 23 mai que l’investigation du cas de chaque immigré établirait que les individus de ce groupe ne sont pas éligibles pour le statut de demandeur d’asile, et que leurs vies ne seraient pas directement mises en péril, dans le cas d’un retour.
L’avocat de la Clinique pour les Droits des Réfugiés de l’Université de Tel-Aviv, Anat Ben-Dor, affirme, quant à elle, que cette décision serait prématurée et irresponsable, car elle exposerait les rapatriés à une crise humanitaire au Sud-Soudan.
Mais peut-on légitimement tenir Israël responsable du bien-être des individus confrontés à la famine et aux mauvaises conditions humanitaires dans leur pays ? Selon le ministre de l’Intérieur, Eli Yishaï (Shass, orthodoxes séfarades non-sionistes), il ne relève pas de ses fonctions d’être responsable de ce qu’il se passe en Erythrée et au Soudan ; une responsabilité qui appartient, d’après lui, aux Nations Unies.
Cette proposition de renvoyer 3000 Sud-Soudanais constitue un pas vers la résolution du problème social sévissant dans les quartiers sud de Tel-Aviv ; néanmoins, ses répercussions s’avèreront particulièrement limitées, étant donné le nombre des immigrés illégaux.
Deux tiers de ces immigrés seraient par ailleurs de nationalité érythréenne. Des individus qu’il demeure impossible, à ce jour, d’expulser. En effet, l’UNHCR (l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés) a édicté une ordonnance s’opposant au renvoi des demandeurs d’asile érythréens dans leur pays. Cette décision s’appuie sur des observations de cas de détention, de torture ou de mauvais traitements infligés aux ressortissants, à leur retour.
À en croire Sharon Harel, la responsable pour l’UNHCR à Tel-Aviv, une grande partie des immigrés illégaux ont fui leur pays dans le but de se soustraire au service militaire, obligatoire pour une durée pouvant se prolonger jusqu’à vingt ans ; un acte de désertion sévèrement réprimé par leur gouvernement.
Renvoyer les ressortissants dans ce cas constituerait ainsi une entrave à la loi internationale, qu’Israël tient à respecter ; en outre, la responsabilité morale d’éviter ces traitements violents à ces individus incombe au pays des Hébreux, dès lors qu’ils sont parvenus à s’y introduire.
L’ordre d’éviction des 3000 Sud-Soudanais représenterait toutefois un message politique à destination des habitants des quartiers sud de Tel-Aviv, leur montrant ainsi que le gouvernement prend des mesures afin de pallier leur problème.
Cette décision servirait également de signal destiné à dissuader de futurs migrants de gagner la Terre promise. Toutefois, pour le Vice-Premier ministre, Dan Meridor (Likoud), c’est la finalisation de la construction de la barrière de sécurité avec l’Égypte, prévue en 2013, qui représente la solution fondamentale au problème des immigrés illégaux. Une barrière qui aura pour effet d’empêcher les immigrés de pénétrer dans le territoire.
Dans l’entretemps, l’interdiction gouvernementale officielle faite aux immigrés illégaux de travailler, continue de provoquer leur errance dans les rues des quartiers concernés, et elle génère de la haine, de la violence et du racisme parmi les populations de ces banlieues déjà économiquement défavorisées.
Les autorités ne peuvent pas sérieusement s’attendre à ce que des dizaines de milliers d’êtres humains se laissent mourir sur le pavé, sans chercher des moyens alternatifs pour subvenir à leurs besoins vitaux. On ne peut ainsi pas les accuser unilatéralement de se livrer à ces pratiques illégales.
Erdan et Meridor s’accordent pour affirmer que la meilleure solution à court terme consiste à renforcer la présence de la police dans les zones concernées, afin de prévenir la criminalité et les frictions entre les deux communautés. Le ministre de la Sécurité intérieure, Yitzhak Aharonovitch (Yisraël Beiteinu, Israël notre maison, populiste), considère le déploiement d’unités de gardes-frontières comme une solution appropriée.
Meridor souligne par ailleurs que la violence n’est pas liée aux migrants, mais à la société israélienne. Le préfet de police Yohanan Danino a sévèrement critiqué, pour sa part, la politique actuelle du gouvernement, affirmant, la semaine dernière, qu’accorder des permis de travail aux immigrés illégaux et aux demandeurs d’asile réduirait considérablement la criminalité. "Ceux qui sont déjà ici devraient recevoir des permis de travail", a-t-il décrété, alliant le bon sens pratique à un traitement humain du problème. Il a émis cette conclusion après avoir observé, deux jours durant, les abords de la station de bus.
Le ministre de l’Intérieur a catégoriquement rejeté cet appel, argumentant que "des emplois les amèneraient à s’installer ici, à faire des bébés, et que cette proposition engendrerait la venue de centaines de milliers d’autres migrants". Ce ministre a ponctué : "lorsqu’ils seront mis en prison, leurs compatriotes ne voudront plus venir ici".
Hier, le député du Likoud Dani Danon a affirmé que la solution immédiate afin de calmer la situation consistait en la construction de centres de détention provisoire et en l’évacuation de tous les migrants africains du sud de Tel-Aviv. Mercredi, au cours de la manifestation, il avait en outre indiqué qu’il faudrait "expulser d’Israël les infiltrés".
Dani Danon, qui, avec les trois autres députés Miri Regev, Ben Ari et Yariv Levin, a participé à la manifestation contre les immigrés, s’est vu vivement fustigé par le porte-parole de la Knesset, Reuven Rivlin (Likoud aussi), ainsi que par le ministre de la Sécurité intérieure, Yitzhak Aharonovitch et le président du parti Yesh Atid (Il y a un avenir), Yaïr Lapid, pour ses positions jugées immorales. Miri Regev (Likoud, encore) avait, pour sa part, déclaré que les immigrés illégaux représentent "un cancer dans notre corps".
Le porte-parole de la Knesset a indiqué que "lorsque les masses sont en colère, les responsables politiques se doivent de l’atténuer, et non de la propager" ; que manifester est compréhensible, mais qu’il est en revanche inadmissible de tomber dans l’incitation à la haine et d’ "utiliser des termes que les antisémites utilisent contre nous".
La violence exceptionnelle de certains manifestants, ainsi que les propos des députés mentionnés ont également fait réagir Binyamin Netanyahu ; ce dernier a déclaré jeudi qu’ "il n’y a pas de place pour le genre de déclarations et d’actes dont nous avons été témoins hier [mercredi]".
La Secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a lu, hier, un rapport du Département d’État, datant de 2011, sur les pratiques des droits de l’homme, critiquant Israël pour la manière dont elle s’y prend avec les migrants africains.
Déployer les moyens afin de rétablir une situation acceptable pour les citoyens israéliens, tout en demeurant humain au regard du traitement des réfugiés, ne représente plus une option pour le gouvernement, mais une nécessité primordiale. Pour les réfugiés, certes, mais surtout pour les Israéliens et pour la paix civile.
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