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Publié le 5 Février 2013

Plaidoirie de Maitre Rachel Franco au Mémorial de Caen

 

Elle n’a pas de nom et elle n’a pas de visage.

 

Qui était-elle et quels étaient les rêves de cette jeune femme, à l’aube de sa vie ? Elle est née du mauvais côté et elle s’est trouvée au mauvais endroit, et au très mauvais moment de sa vie.

 

Damas ! La guerre fait rage et la mort vous surprend à chaque carrefour ; dans vos maisons, au milieu de vos nuits ou dans des abris de pacotille, nul lieu où se protéger ; nul lieu où il serait possible de simplement fermer les yeux sur ce monde d’une violence inouïe. Nul lieu où se réfugier et oublier, quelques instants seulement, la folie meurtrière qui s’empare des hommes et fait de notre monde une désolation sans espoir.

 

Il faut le dire ! Il faut le dénoncer haut et fort ! Il faut ensemble refuser le silence qui pose une chape de plomb sur les corps meurtris qui pourrissent sans sépulture

 

Damas ! En tout lieu, des attentats suicide, les voitures piégées, des bombes explosent, des coups de feu crépitent et sifflent si près de vous ; d’autres tombent. Pourquoi eux ? La mort semble jouer aux dés et faucher des vies au hasard, tandis que du haut du ciel, les hélicoptères vous menacent et les avions de l’armée lâchent leurs bombes au milieu de vous, au cœur de cette ville maudite.

 

Damas ! Autour de vous, les immeubles s’effondrent dans un vacarme effroyable et le silence d’après est un silence épouvantable, assez vite déchiré par les hurlements des familles endeuillées.

 

Partout, la fumée des bombes et des nuages épais de poussière vous brûlent les yeux et étranglent votre gorge ; partout, les incendies sauvages et des tirs incessants viennent obscurcir l’horizon et enfermer votre coeur dans l’oppression et l’angoisse.

 

Mesdames et Messieurs, en tout lieu de cette ville abandonnée par l’humanité, ce sont les larmes et le sang qui habitent les quartiers désertés ; il n’y a plus ici aucun espoir de vie. La terre syrienne avale ses morts, sans jamais être rassasiée.

 

Qui était donc cette jeune fille aux rêves secrets ? Pourquoi le malheur s’est-il abattu sur elle avec tant de cruauté ? Qui pense à son calvaire aujourd’hui ?

 

Vous et moi, Mesdames et Messieurs du Jury, nous allons poser notre regard sur le corps dévoré de cette jeune femme à peine sortie de l’enfance et pour elle, je vais tenter de poser une parole de justice.

 

Nous sommes au centre de la branche palestinienne des services de sécurité syriens. Les soldats ont attrapé cette jeune femme et exercent sur elle, leurs talents soldatesques.

 

« Il lui a inséré un rat dans le vagin. Elle criait. Après, nous avons vu du sang sur le sol. Il lui a dit : « tu en as assez ?« . Ils se moquaient d’elle. C’était évident qu’elle était en train d’agoniser. Ça sautait aux yeux. Et d’un coup, elle a cessé de bouger. »

 

Le témoignage est accablant. Il est celui d’une rescapée des geôles palestiniennes qui œuvrent pour Bachar al-Assad et le journaliste britannique de la BBC, Fergal Keane s’est fait le porte-parole de ce témoignage, sorti tout droit de l’enfer syrien.

 

Notre témoin à charge a été arrêtée dans un poste de contrôle à Homs et durant deux mois, elle a vécu le quotidien de celles et ceux qui sont incarcérés dans les cellules palestiniennes des renseignements militaires à Damas.

 

Mesdames et Messieurs, le témoignage est si épouvantable qu’il frise l’impensable et j’oserai dire l’indicible.

 

Oui, les rats et les souris sont utilisés comme des armes de viol et comme des armes de meurtre contre les femmes.

 

Cette jeune femme, sans nom et sans visage, dévorée de l’intérieur par un rat que des hommes sanguinaires se sont amusés à lui introduire dans le vagin, cette jeune femme… est ma petite sœur.

 

Elle est morte assassinée par le Mal personnifié, seule au milieu des rires de ses tortionnaires, seule au milieu des hommes, terrassée par l’horreur, terrassée par la peur et par la douleur venue de ses entrailles ; seule, perdue dans ses larmes, abandonnée de tous, abandonnée de nous aussi… Il ne faut pas se voiler les yeux.

 

Je ne sais pas dire d’où vient une telle cruauté. Je ne sais pas dire comment de telles idées peuvent venir à l’esprit d’un homme. Je ne peux même pas imaginer que de tels scénarios puissent être réels. Ils semblent sortis tout droit d’un film d’horreur et pourtant ceci est la vérité ; une vérité terrible vécue par cette jeune femme sans nom et sans visage et par d’autres aussi.

 

Non, je ne sais pas dire d’où vient une telle cruauté, car le mal plonge ses racines dans un lieu de l’esprit qui échappe à toute logique, à toute humanité, digne de ce nom.

 

Aucune idéologie politique, aucune foi religieuse ne peuvent apporter le moindre commencement de la plus petite explication d’un acte aussi barbare. Rien, absolument rien, ne peut jamais donner le moindre éclairage sur des actes qui signent irréversiblement la chute de l’humanité à un degré que les animaux ne connaissent pas.

 

Petite sœur, tu ne me connais pas et pour toi, je veux parler aujourd’hui. Je veux être la voix qui porte ton malheur et dénonce tes tortionnaires. Pour toi, je veux être entendue aujourd’hui pour que cette histoire ait ton visage et porte ton nom.

 

Tu n’aurais sans doute pas imaginé qu’une autre femme, vivant de l’autre côté du Golan, frontière qui sépare nos deux pays, une autre femme qui plus est, Juive et Israélienne vienne un jour parler pour te faire vivre.

 

Petite sœur, les préjugés sont les véritables barrières qui nous séparent et il n’est pas facile de se défaire des regards ignorants, voire haineux qui déforment nos âmes et couvrent nos yeux d’un voile épais.

 

Tu étais seule et sans défense devant les nazis de ton pays et les forces du Mal t’ont attrapée et t’ont assassinée dans une jouissance maladive.

 

Alors, comment pourrai-je me taire et ne pas te tendre la main pour te relever de cette injustice qui hurle jusqu’aux cieux ?

 

Aujourd’hui, pour toi et devant tous, mon visage sera le tien et ta souffrance sera la mienne.

 

Aujourd’hui et jusqu’aux derniers jours de ma vie, ton histoire ne me quittera pas, car je l’ai faite mienne au plus profond de moi.

 

Mesdames et Messieurs, je vous demande de rendre Justice pour cette jeune femme que je représente aujourd’hui.

 

Je vous le demande avec forte conviction !

 

Non certes, ce ne sera pas une justice qui punit ses assassins. Ce ne sera pas non plus une justice qui console la famille de cette jeune femme dont l’histoire ne retient rien d’autre que son calvaire, mais ce sera une justice qui permettra de la faire revivre devant vous. Ainsi, son histoire ne pourra être oubliée ne de votre esprit de de vos cœurs.

 

Les faits relatés ont eu lieu en septembre 2012, mais ne doutez pas qu’ils se sont déroulés également hier et qu’ils se répèteront demain.

 

Mesdames et Messieurs, les témoignages d’agressions sexuelles sur les adolescents, les jeunes femmes et les moins jeunes sont nombreux et concordants. C’est malheureusement une stratégie de guerre qui a fait ses preuves ; les séances d’électrochocs sur les parties génitales, les brûlures sur l’anus, les tortures ou viols collectifs, qu’ils soient le fait des forces régulières ou des rebelles, sont le quotidien des victimes de la folie meurtrière de ces fanatiques de tous bords. Or, les civils sont les premières victimes de ces conflits armés ; les enfants et les femmes tout particulièrement sont un gibier de choix pour ces chasseurs de sans et de sexe.

 

Aussi, il faut rendre Justice, car c’est la Justice qui est le fondement du monde et c’est la recherche de justice qui fait de nous des êtres qui aspirent au Bien et à la paix.

 

Et comment pourrait-il y avoir paix dans nos pays si dans nos cœurs, la haine ou même l’indifférence s’installe en lieu et place de l’Altérité et de la fraternité ?

 

Les rapports déposés par diverses organisations telles que « Human Rights Watch » ou encore « Women Under Siege », les rapports de l’ONU et les témoignages directs recueillis par les journalistes de différentes nationalités ne laissent planer aucun doute sur la réalité et l’intensité de ces agressions et de ces meurtres.

 

Il faut le dire ! Il faut le dénoncer haut et fort ! Il faut ensemble refuser le silence qui pose une chape de plomb sur les corps meurtris qui pourrissent sans sépulture.

 

Ma petite sœur n’avait sans doute pas les clefs qui permettent de saisir ce qui se joue dans cette guerre civile qui fait rage en Syrie. Elle était jeune et comme toutes les jeunes filles, elle aimait rire et s’amuser. Elle était peut-être amoureuse et vivait secrètement dans le désir d’un amour partagé. Ou peut-être rêvait-elle d’une rencontre qui enflamme le cœur ? Devant son miroir, elle observait son visage et regardait son corps, un corps qui n’est jamais assez bien aux yeux des jeunes filles en quête d’amour.

 

Peut-être encore, s’était-elle fâchée la veille avec une amie et gardait-elle encore un peu de rancune ? Je ne sais dire et je ne peux qu’imaginer, mais une chose est certaine : elle était vivante, pleine de rêves et de désirs et n’avait que faire d’une guerre qui dépassait son entendement.

 

Et c’est un rat qui a dévoré ses entrailles, devant le regard amusé de ses tortionnaires !

 

Justice ! Justice ! Justice au nom de ma sœur et que son âme repose enfin en paix !

 

Source : Mémorial pour la Paix de Caen