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Publié le 18 Septembre 2015

Mémoire, justice et vérité

Le 19 septembre 1989 reste gravé dans notre mémoire, jour où a été commis l’attentat le plus meurtrier visant la France...

Par Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS Attentats, Membre du conseil d’administration du Fonds de garantie des victimes (FGTI)
... 170 morts, 65 nationalités, dans un avion de la compagnie UTA, vol UT 772 reliant Brazzaville à Paris.
SOS Attentats, créée par des victimes, pour des victimes a fait apposer en 1990 une plaque à la mémoire des victimes, au ministère de la Défense, rue de Bellechasse, à Paris, puis a initié avec le ministère des Affaires étrangères un mémorial au cimetière du Père-Lachaise où sont inscrits les noms de toutes les victimes et 65 cercueils symbolisant les personnes non identifiées ont été inhumés.
Deux jours avant cet attentat, l’association avait organisé une commémoration au 140 rue de Rennes, à la mémoire des victimes (17 septembre 1986) en présence du Président de la République, M. François Mitterrand.
D’autres plaques furent inaugurées, sur le quai de la station du RER Saint-Michel (attentat du 25 juillet 1995) puis à la station du RER Port-Royal (attentat du 3 décembre 1996).
L’association, après 4 ans de combat, a obtenu, en faveur des victimes, le statut de victime civile de guerre (la loi du 23 janvier 1990) reconnaissant ainsi que le terrorisme est une nouvelle forme de guerre en temps de paix contre des civils.
Un lieu de mémoire commun et un devoir de mémoire s’imposaient pour lutter contre l’oubli.
La création du mémorial, « Parole portée, à la mémoire des victimes du terrorisme », c’est la rencontre entre un artiste, Nicolas Alquin qui travaillait alors sur « la parole » et SOS Attentats dont le journal s’intitulait « Paroles de victimes » (1).
Une sculpture-fontaine fût inaugurée le 3 décembre 1998 par le Président de la République, M. Jacques Chirac, en présence du Premier ministre, du gouvernement et des plus hautes autorités, militaires, civiles et religieuses. Il reste aujourd’hui le seul monument dédié à toutes les victimes du terrorisme dans le monde. (ww.sos-attentats.org)
La statue, située à l’Hôtel national des Invalides, dans une enceinte militaire, un des plus beaux lieux historiques de Paris, représente une femme décapitée tenant sa tête dans la main, œuvre prémonitoire, les « paroles s’envolent », elles sont portées au-delà de la mort. Témoignage de la solidarité, hommage rendu aux victimes dans un jardin propice au recueillement, au souvenir, à la méditation, un lieu de rencontre, d’échanges et d’apaisement. Sculpture associée à l’eau, symbole de vie dans toutes les cultures et qui lance un message de paix et de justice résumant parfaitement les buts de SOS Attentats.
L’artiste a « inscrit notre parole dans le bronze afin qu’elle ne s’envole plus qu’elle ne puisse plus jamais se taire. Parole symbolique et éternelle parce que, fontaine, elle coulera et s’écoulera dans le temps, à travers les ans, les décennies et les siècles, dans ce lieu chargé d’Histoire. Parole musicale, grâce à cette eau, parole végétale grâce à ces tilleuls, parole minérale grâce à ce sable, parole humaine qui nous survivra et qui ne s’arrêtera plus. Parole de justice et de vérité, parole mémorable parce que associée à ce mémorial » (extrait du discours prononcé le 3 décembre 1998).
De nombreux autres combats participant au devoir de mémoire ont été menés au cours de cette période.
Huit lois adoptées ont profondément modifié les droits des victimes en France, la création du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme (FGTI) permet aux victimes de se reconstruire matériellement et des études médicales ont amélioré la prise en charge des victimes. 
La présence d’une association, aux côtés des victimes, dans des dizaines de procédures judiciaires a permis que la parole des victimes soit écoutée et entendue dans les tribunaux, sans esprit de revanche ni de vengeance.
Nous avons déposé une plainte contre le colonel Kadhafi, la Cour de Cassation a interrompu la procédure … Elle a eu pour seul résultat le versement d’une indemnisation supplémentaire par la Libye aux familles des victimes du vol UT 772. 
Les victimes se heurtent trop souvent à l’impunité, l’immunité et la raison d’État. La Syrie, l’Iran, l’Égypte, l’Algérie bloquent la coopération judiciaire. Les dossiers des assassinats d’opposants iraniens en France sont au point mort, de même que l’instruction de l’attentat de Port-Royal (3 décembre 1996), contre des enfants français au Caire (24 février 2009), l’assassinat de dizaines de Français en Algérie, l’enlèvement de dizaines d’otages Français, la prise d’otages de l’Airbus d’Air France (24 décembre 1994), celle d’In Amenas en janvier 2013 et aussi la décapitation des moines de Tibhirine, en dépit de l’acharnement du juge Marc Trévidic. 
Or, tous les responsables d’actes de terrorisme, les financiers, les commanditaires doivent être poursuivis, jugés et condamnés. 
Les magistrats participent aussi au devoir de mémoire en continuant inlassablement la recherche de la vérité, en poursuivant des auteurs quels que soient le lieu où ils se trouvent et le temps écoulé (cf. les attentats de la synagogue de la rue Copernic, de la rue des Rosiers), mais la justice reste encore un véritable parcours du combattant face à la diplomatie.
Aujourd’hui, chacun sait que, depuis le début de l’année 2015, nous devons apprendre à faire face au terrorisme, à son évolution, à son intrusion dans notre vie quotidienne, partout dans le monde. Le risque zéro n’existe pas. La violence du terrorisme, réalité niée pendant longtemps, exige une véritable mobilisation de tous, l’esprit du 11 janvier nous permet d’espérer. L’Europe doit montrer l’exemple en coordonnant ses moyens de renseignement, de prévention, de police et de justice. 
La mémoire collective aujourd’hui doit s’écrire également en encre européenne. Le 11 mars, journée européenne des victimes du terrorisme, doit devenir une journée de mémoire solidaire et commune, Madrid, Londres, Bruxelles, le Thalys et Paris ont subi la violence terroriste impliquant de nombreux Européens. Cessons de raisonner en terme national, les terroristes se jouent des frontières, la mémoire des victimes s’accommode mal de ces barrières.
Ainsi, l’expérience acquise pendant plus de 30 ans doit être transmise. Une nouvelle génération doit prendre le relais, un travail pluridisciplinaire doit être amélioré dans les domaines médicaux, psychologiques, administratifs, juridiques et judiciaires, dans un esprit de respect, au service des victimes. Ces victimes, à travers lesquelles notre démocratie est visée, doivent être accompagnées sur le chemin de la résilience, de la reconstruction psychologique, sociale, familiale et professionnelle. Ce savoir peut se transmettre, la mémoire aussi, même si certaines valeurs restent parfois non transmissibles. 
Note : 
(1)  Genèse du mémorial dans « Triple peine » de Françoise Rudetzki, ed. Calmann-Levy 2004, p. 293-306