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Publié le 3 Septembre 2015

Les catholiques sont-ils Charlie ?

Deux ans après la Manif pour tous et les débats assez vifs auxquels elle a donné lieu au sein du catholicisme français, les attentats révèlent de nouveaux clivages.

Par Benoît Bourgine, théologien à l’Université catholique de Louvain, publié dans l'Arche le 31 août 2015
Trois sujets divisent les esprits : la liberté d’expression, la religion islamique et l’antisémitisme.
Quelle liberté d’expression vis-à-vis des religions ? Faut-il aller jusqu’à reconnaître un droit au blasphème ? Pour certains, impossible de tourner une religion en dérision sans offenser les croyants. Selon eux, la liberté de la presse est limitée par la décence et le respect des croyances d’autrui – position par ailleurs largement représentée par la presse et l’opinion anglo-saxonnes. La déclaration du pape François sur le coup-de-poing destiné à l’ami qui parlerait mal de sa mère relève sans doute de cette catégorie. Pour d’autres, au contraire, il importe de faire droit à la tradition française de la satire qui n’a d’autre limite que l’incitation à la haine et l’honneur des personnes. Il y va de l’effectivité du pluralisme, de la diversité des sacrés à faire coexister dans le même espace social, de la critique salubre à adresser aux puissants et aux clercs comme aux idées qui deviennent folles dès l’instant où elles sont imposées à autrui. Des catholiques de renom comme Rémi Brague et Denis Moreau ont soutenu qu’en régime pluraliste seules les personnes méritent le respect, non les croyances : pour eux, la liberté religieuse ne saurait borner la liberté d’expression et les journalistes qui l’ont payé de leur vie méritent notre reconnaissance.
Vis-à-vis de l’islam, deux positions se dégagent. Les uns veulent à tout prix prévenir l’amalgame entre djihadistes et musulmans, quitte à développer un discours aux accents victimaires et parfois un tantinet paternalistes à l’endroit des anciens colonisés et des actuels opprimés que seraient les musulmans pris globalement. Les autres, adeptes du franc-parler, engagent leurs compatriotes musulmans à affronter les défis posés à une religion comme l’islam par un ordre politique marqué par la primauté de la loi séculière et le pluralisme des convictions. La tâche n’est pas aisée : dans combien de pays musulmans la liberté religieuse est-elle en vigueur ? Les catholiques sont bien placés pour savoir que le travail d’une religion sur elle-même en vue de s’accorder à de telles exigences requiert temps et sagesse. L’Église catholique entre de plain-pied dans la modernité politique à l’occasion du Concile Vatican II avec la reconnaissance pleine et entière de la liberté d’exercice des différents cultes dans les États où elle est majoritaire. L’événement remonte seulement à… 1965 !
Et l’antisémitisme ? Qu’en est-il dans une Église qui, à la même date, prenait l’engagement solennel de déconstruire l’enseignement du mépris à l’égard des juifs et du judaïsme ? Si certains ont occulté cette dimension des attentats, sans doute par peur de faire de l’antisémitisme un cas particulier de racisme, la grande majorité des commentateurs a exprimé une vive inquiétude en s’alarmant de la terrible série d’assassinats antisémites. D’autres déclarations cachent mal des reliquats d’antisémitisme relevant de trois sources principales : un registre politique sous couvert d’antisionisme, un registre culturel avec les lieux communs antijuifs et enfin un registre théologique allant du prétendu déicide jusqu’aux interprétations bibliques retournées contre leurs auteurs... Lire l'intégralité.