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Publié le 5 Novembre 2012

Interview de Richard Prasquier, en campagne pour devenir président du Congrès Juif Européen

L’actuel président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (Crif) est un homme clef de la vie juive française depuis plusieurs années. Et en plus d’être très présent sur la scène internationale en ce qui concerne la lutte pour la mémoire de la Shoah, voilà que Richard Prasquier s’engage dans une nouvelle campagne électorale. Cette fois, il veut être élu président du Congrès juif européen. Un poste taillé à sa mesure, un candidat idéal pour rassembler, unir et aider tous les Juifs de l’Europe élargie. Pour JSSNews, il revient sur la fin de son mandat au CRIF (mai 2013) mais aussi sur la première rencontre entre François Hollande et Benjamin Netanyahu, mercredi 31 octobre 2012.

Vous avez rencontré ce matin Benjamin Netanyahu, pouvez-vous nous parler des échanges que vous avez eus avec lui ?

 

Richard Prasquier : La visite de Benjamin Netanyahu était une visite de travail et non une simple visite officielle. De ce point de vue, il avait un objectif politique extrêmement précis qui était de mieux connaître le président de la République française et tous ceux qui sont impliqués avec le monde juif et Israël. Il n’avait pas encore eu le temps d’établir des liens personnels avec François Hollande, alors que, comme vous le savez, il avait des liens personnels avec Nicolas Sarkozy. Tout le monde sait les hauts et les bas de leur relation. Dans la mesure où l’on sait, comme je l’ai écrit dans l’éditorial du CRIF hier matin, que les relations personnelles ont un rôle très important dans les relations politiques internationales. C’était très important pour Benjamin Netanyahu d’établir cette relation avec le président François Hollande.

 

Quel est votre sentiment sur cette rencontre ? Est-ce que, d’après-vous, le courant est passé entre les deux hommes ?

 

D’après ce que je sais, le courant est très bien passé. Les rencontres ont été très positives. Les deux hommes ont des divergences, c’est évident. Sur le conflit israélo-palestinien, il y a des divergences d’opinions mais les convergences sont grandes, le respect et l’amitié sont réels ; et en ce qui concerne le sujet qui préoccupe le plus les Israéliens, c’est-à-dire l’Iran, la France montre une très grande fermeté et est prête à augmenter le niveau des sanctions pour mettre l’Iran dans une situation où il ne pourra plus poursuivre ses ambitions nucléaires. Tout du moins, on ne peut que l’espérer. La fermeté de la France vis-à-vis de l’Iran, j’ai pu le constater, est tout à fait stable et importante. La France est au premier rang des pays qui se battent pour que l’Iran ne puisse pas détenir un armement nucléaire.

 

Israël et la France luttent contre les mêmes extrémistes, les mêmes terroristes…

 

Benjamin Netanyahu a dit à François Hollande qu’il serait ravi d’être invité à des négociations de paix, à Paris, en compagnie de Mahmoud Abbas. François Hollande a, de son côté, pris la politique de Nicolas Sarkozy à contre-pied en affirmant que le seul moyen pour les Palestiniens d’avoir un Etat, c’est de passer par les négociations directes et non par l’ONU… C’est un point positif pour Netanyahu, non ?

 

Effectivement, il y a beaucoup de points positifs, ce qui ne signifie pas pour autant que François Hollande a pris pour lui tous les éléments de la politique israélienne. Mais il voit Israël avec un œil d’amitié, de sympathie et de compréhension.

 

Benjamin Netanyahu, lors de ce voyage, n’a pas rencontré la communauté juive…

 

En effet, c’était une réelle visite de travail au niveau politique. Il a décidé d’aller à Toulouse et il ira là-bas avec François Hollande. Je crois qu’il y a là un symbole très fort : la prise en compte du fait que les uns et les autres sont sur le même bateau. On est tous en train de lutter contre les mêmes extrémistes et les mêmes terroristes. Ce qui est un problème pour les Israéliens et également un problème pour les Français. C’est un message très puissant : ce qui s’est passé à Toulouse, c’est une attaque contre les Juifs, mais pas seulement. On l’a vu avec ces soldats qui étaient aussi attaqués. La tuerie de Toulouse, c’était une attaque contre la France dans toutes ses valeurs. C’est cela que la société nationale française commence à comprendre.

 

Vous êtes actuellement en campagne… De quoi s’agit-il exactement ?

 

Il s’agit d’une structure qui s’appelle le Congrès juif européen (CJE), qui a été créée à l’époque où Théo Klein était encore président du CRIF. Ce CEJ s’est étendu puisque depuis sa création les Etats fondateurs ont été rejoints par ceux créés après la chute du régime communiste. Il y a aujourd’hui un nombre important de pays qui en font partie, dont beaucoup d’entre eux ont un nombre très petit de membres de la communauté juive malheureusement, parce que l’histoire est passée par là. Parmi les pays du judaïsme européen, la France est celui qui a la plus grande population.

 

Ces communautés juives ont des problèmes qui sont disparates, différents les uns des autres, avec des éléments d’inquiétudes qui ne sont pas les mêmes.

 

Il s’agit d’être autant pro-actif que réactif !

 

Lesquels par exemple ?

 

Cela peut être le fait qu’une communauté soit vieillissante, qu’elle soit soumise à des difficultés économiques très fortes et qu’elle n’a plus les moyens de se pérenniser. Pour d’autres communautés, on fait face à des résurgences d’anti-sémitisme venues par exemple des partis populistes d’extrême droite. D’autres communautés ont comme problème essentiel l’islamisme radical. D’autres ont des difficultés avec les églises, ou avec des éléments de l’église protestante par exemple ; dont certains prennent position constamment contre Israël. Ces communautés ont donc des problèmes avec les adversaires du sionisme ou de l’Etat d’Israël. Ce peut être aussi des mouvements d’extrême-gauche, les écologistes. Il y a aussi les attaques des ultra-sécularistes contre la base de la vie juive, comme la circoncision et l’abattage rituel… Ce sont là des défis très variés, qui surviennent dans un contexte de crise économique. Mais ils ont tous des points communs d’un pays à l’autre, avec des poids différents selon les facteurs.

 

Cela ressemble à un poste très politique que celui que vous convoitez… Mais on connaît peu, en France, l’influence du Congrès juif européen. Quelle est-elle et quelle devrait-être son influence ?

 

Il est vrai que l’on ne connaît pas du tout, en France, le CEJ. C’est une structure dont l’action essentielle devrait être à Bruxelles et ce devrait être un lieu de compétence et de coordination entre les différences communautés européennes. Ce devrait être un lieu où l’on aide les autres communautés en s’aidant des échanges et de l’expérience des autres. Un lieu où les ripostes et les prévisions de ripostes doivent être pensées. Il s’agit-là d’être aussi pro-actif que réactif. Mais il ne s’agit pas de protester à la place des communautés locales, il ne s’agit pas de vouloir les remplacer mais de les aider, de les connaître et de vouloir travailler sur le terrain.

 

C’est-à-dire aller à la rencontre des leaders juifs, mais aussi des leaders politiques de ces pays.

 

Oui, mais pas seulement car il ne s’agit pas de prendre des photos avec les leaders politiques, il s’agit de comprendre les réalités, les dangers qui peuvent toucher les communautés… Et comment faire pour pérenniser la vie du judaïsme européen qui est tout de même en danger dans un certain nombre de pays, pour les raisons que j’ai déjà expliquées ici.

 

Aujourd’hui, vous êtes le président du CRIF, donc à la tête, si l’on peut dire, de la communauté juive la plus importante d’Europe. Est-ce que ce rôle de président ne devrait pas vous être dû de facto ?

 

Il y a eu une époque où il était traditionnel que le poste de président du Congrès juif européen passe du président de la communauté anglaise à la communauté française, et cætera… Mais cette époque est révolue, c’était jusque dans les années 2000. Les choses ont changé, c’est normal, c’est la démocratie. Il n’y a pas de raisons pour que, systématiquement, ce rôle revienne aux plus grandes communautés d’Europe. Vous savez, c’est le hasard de l’histoire. Je viens de parler avec le représentant de la communauté juive lituanienne. Il y a actuellement 5000 Juifs dans ce pays mais imaginez que cette communauté était considérable par le passé : avant guerre, il y avait là-bas à peu près autant de Juifs qu’en France. Le poids de l’histoire est considérable. Il faut respecter cette histoire. Mais dans notre pays, nous avons acquis une certaine connaissance du terrain, de ce qu’est la communauté d’une part et de ce que sont les relations politiques d’autre part. A titre personnel, j’ai toujours eu, de par mon histoire et mes intérêts, une approche très européenne sur le judaïsme.

 

Cette élection se joue à huis-clos puisque c’est une poignée de « grands électeurs » qui va décider du nouveau président. Vous concourez contre le président sortant, Moshe Kantor, un Russe, qui doit avoir dans sa sacoche tous les pays d’ex-URSS. Mais plus globalement, avez-vous des estimations sur l’issue du scrutin ?

 

Ce n’est pas ma première campagne et jamais je n’ai fait de prévisions. Je sais qu’en faisant des prévisions on est déçu. Cependant sur Moshe Kantor, ce que vous dites est vrai. Le Congrès juif européen a des limites qui débordent très largement les frontières de l’Union européenne. On y retrouve des pays comme la Turquie, le Maroc, la Tunisie, mais aussi un certain nombre de pays qui font partie de l’ancien bloc soviétique et qui ne sont pas entrés dans l’Europe (Biélorussie, Moldavie…).

 

En ce qui concerne la prise de coups, le poste de président du CRIF permet en effet de bien durcir le cuir !

 

En attendant, vous restez toujours le président du CRIF. Il y aura des élections en mai 2013 et une campagne va s’engager. Y a-t-il déjà des postulants déclarés à votre succession ?

 

Si je devais formuler un vœu, c’est qu’il y ait un certain nombre de postulants et que la campagne commence le plus tard possible et qu’elle se fasse dans les meilleures conditions possibles bien entendu !

 

Quelle serait la description de l’homme ou de la femme idéal(e) pour prendre la relève ?

 

Ce qui est sûr c’est que pour postuler il faut se donner absolument impérativement uniquement au CRIF. C’est comme cela que je l’ai vécu, il faut donc régler son problème d’activité personnelle.

 

Il faut aussi savoir prendre des coups, non ?

 

En ce qui concerne la prise de coups, le poste permet en effet de bien durcir le cuir ! On ne devient pas président du CRIF pour entendre des louanges, cela fait partie du boulot. Quand on est président du CRIF, on a affaire à une communauté très diverse et l’on doit être à l’écoute de ces communautés, on doit essayer d’être fédérateur, rassembleur et cela étant, cela ne signifie pas que l’on ne doit pas avoir ses propres principes sur lesquels il ne faut pas se compromettre. En dehors de cela, il faut écouter la diversité des points de vue. Je suis toujours parti du principe que nous pouvons tous être très différents mais au fond, je parle là des associations membres du CRIF, nos ressemblances sont beaucoup plus fortes que nos différences. Il faut relier la communauté nationale française et créer le maximum de liens avec elle. C’est jouer avec le « je suis français, je suis très attaché à la culture, à l’histoire et à l’avenir de la France mais je fais partie du peuple juif et en tant que juif, le peuple juif a un centre qu’il s’appelle l’Etat d’Israël. » Mes fidélités sont là, à la France et à Israël.

 

Propos recueillis par Jonathan-Simon Sellem, le 31/10/2012