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Entretien réalisé par Marc Knobel – Directeur des Etudes au Crif
Le Crif - Avec la crise du Coronavirus, on a l’impression que l’Italie traverse une crise sanitaire sans précédent et dramatique. Alors que le bilan du coronavirus s’alourdit et devient très inquiétant, les médecins ont demandé à la population de se discipliner. Que se passe-t-il donc et comment la population italienne ressent cette situation ?
Tiziana Della Rocca : Tout d’abord, aucun système sanitaire n’était préparer à gérer la pandémie du Covid 19. D’ailleurs, presque tous les pays du monde ont fini par observer, tant bien que mal, les mêmes restrictions qu’en Italie. Et, il ne fait pas de doute que notre système sanitaire quoique performant, a subi ces dernières années de nombreuses coupes budgétaires dues à une politique inadaptée. Ceci étant dit, la population italienne est très anxieuse de cette situation mais pas tant pour les restrictions en elles-mêmes (même si au début, il y a eu des problèmes, des décrets confus et des mesures qui n’étaient pas claires) mais en l’absence d’une vraie politique, personne n’est capable de dire qu’est ce qui adviendra après, quelles mesures seront adoptées pour faire repartir le pays. On nage dans le brouillard.
Le Crif - Cette crise sanitaire se double t’elle d’une crise politique ?
Tiziana Della Rocca : Certainement c’est une crise politique et pas seulement en Italie, mais dans toutes les sociétés occidentales. Et la chose qui m’enrage le plus vient du fait que depuis un certain temps, les scientifiques prévoyaient un scénario identique et prévenaient qu’une pandémie pouvait survenir. Pourquoi de telles alertes ont-elles été ignorées ? Au nom de quoi ? Au fond, pourquoi les décisionnaires n’ont pas écouter les scientifiques et n’ont pas tenté de préparer le système de santé à ce danger imminent ? Faire de la politique c’est avant tout prévenir.
Le Crif - Le Vatican tourne également au ralenti. Le dimanche 8 mars, par exemple, le pape François a prononcé, depuis sa bibliothèque du Palais apostolique, sa traditionnelle prière de l'Angélus. Mais, cette prière a été retransmise en direct par vidéo sur la Vatican News et sur des écrans installés sur la place Saint-Pierre. Cela rajoute au traumatisme ?
Tiziana Della Rocca : Sans aucun doute mais, la chose la plus traumatisante, qui a donné la vraie mesure de la tragédie que l’Italie est en train de vivre, n’a pas été seulement la prière de l’angélus transmise en télé vidéo mais plutôt de voir le Pape marcher à pied dans les rues de Rome, seul et mélancolique, avec son escorte, vers l’Eglise San Marcello, afin de prier devant le crucifix dont certains disent qu’il aurait été miraculeux pour avoir arrêter la terrible peste à Rome en 1600.
Le Crif - En France, le coronavirus réveille également les peurs. Dans les lieux publics, des personnes d'origine asiatique ont constaté des mouvements d'évitement, voire des prises à parties racistes dans certains espaces publics. Parallèlement, certaines caricatures antisémites circulent dans les réseaux sociaux et sur certaines plateformes. Est-ce le cas aussi en Italie ?
Tiziana Della Rocca : Plus maintenant, mais au début de l’épidémie, on a constater la même chose en Italie. Les asiatiques ont été insultés.
En revanche, en ce qui concerne les accusations antisémites portées contre les juifs en France ou ailleurs, elles ne me surprennent pas. Il suffit de se rappeler que pendant la plus dévastatrice épidémie de l’humanité, la peste noire de 1347-1352, les juifs ont été persécutés et massacrés. En fait, tout le monde rendait responsable les juifs de cette pandémie alors que, bien évidemment, c’est l’ignorance et l’impuissance des médecins de l’époque qui contribuèrent à accélérer la propagation de la maladie.
Le Crif - À titre personnel, comment ressentez-vous cette crise ?
Tiziana Della Rocca : Je constate que le virus s’est emparé de tous nos espaces vitaux et qu’il est impossible de ne pas en être l’otage et de jouir de quelques moments de trêve. Mais, ce qui m’a le plus frappé, c’est de constater que à chaque fois que des épidémies se déclenchent, hier comme aujourd’hui, l’homme réagit toujours de la même façon. Il y a toujours la même peur du mal et de son pouvoir destructeur, la méfiance envers l’étranger, les doutes envers la médecine, la science et la politique mais contrairement au passé, aujourd’hui nous avons tous les outils pour contrôler ces phénomènes.
Seulement voilà, si nous avions été prévoyants et à l’écoute des alertes émises ici ou là, nous aurions pu réduire les dommages terribles causés par cette pandémie ainsi que le nombre de morts.