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Dans son exposé, le grand rabbin de France insiste sur une notion différente, peu évoquée jusqu'ici, le travail de mémoire. Gilles Bernheim s'interroge depuis longtemps sur l'impact des commémorations. Qu'elles soient relatives ou pas à des questions portant sur la communauté juive du reste. Le grand Rabbin, tout en mesurant chaque mot afin d'éviter les mauvaises interprétations de sa pensée, estime que les limites sont atteintes après des dizaines de cérémonies toutes symboliques certes, toutes identiques aussi. Un syndrome souvent évoqué dans nos colonnes lors des cérémonies patriotiques où la force de l'habitude a anéanti en quelque sorte le pouvoir de mémoire des uns et des autres.
D'où l'idée de tendre vers autre chose : le travail de mémoire. Gilles Bernheim n'est pas le premier à y penser mais l'autorité religieuse qu'il représente peut accélérer le mouvement.
Dans son ouvrage majeur consacré aux origines de la solution finale, Christopher Browning décrit à la fois la logistique mise en place par les nazis pour évacuer puis tuer les juifs d'Europe et par la même occasion, il évoque aussi les causes. Ce spécialiste américain de l'holocauste apporte des explications logiques, politiques et surtout ignorées jusqu'ici. Gilles Bernheim s'inscrit dans cette voie. Au travers de plusieurs exemples, il a essayé de faire partager cette quête à son auditoire. Myriam Anissimov, dans un tout autre genre, emboîte les mêmes traces. L'auteur a sorti cette année une biographie de Vassili Grossman, écrivain, juif natif de Berdichev (en Ukraine). Il fallait donc décrire l'univers de son enfance aux confins de l'Ukraine, de la Pologne et de la Russie à une époque où les frontières étaient fragiles. Or, cette description va dans le sens souhaité par Gilles Bernheim : celui de l'explication historique de la montée de l'antisémitisme, plus exactement, la haine des juifs tout court.
Le grand rabbin de France, fort de cette vision différente de l'histoire de son peuple jusqu'à son extermination en Europe centrale souhaite que l'on puisse avancer dans la réflexion sur les responsabilités des uns et des autres et que cela puisse servir à mesurer différemment sans doute le point de vue que l'opinion internationale peut avoir aujourd'hui sur l'État d'Israël. Passionnant. •
Yves Portelli pour la Voix du Nord