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Publié le 1 Décembre 2011

Entretien avec Michel Serfaty

L'A.J-M.F. vient d'organiser une activité originale de rapprochement entre juifs et musulmans. En quoi elle a consisté ? Quel bilan en faites-vous?




Lors du week-end du 18, 19 et 20 novembre dernier, des milliers de Musulmans et de Juifs à travers la France ont répondu à l’appel que nous avons lancé dans Le Figaro du samedi 12/11/2011 et dans Actualité Juive du 10/11/2011 pour se rencontrer vendredi dans les mosquées, Chabbat dans les synagogues et dimanche à l’occasion d’activités festives, artistiques, intellectuelles, etc. A travers l’hexagone, près de 40 synagogues et 40 mosquées ont organisé des rencontres. Lors du même week-end, aux Etats Unis, au Canada, en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, de nombreuses communautés juives et musulmanes (>250) ont participé à la même opération, répondant ainsi à l’appel de la Fondation pour la compréhension ethnique (FFEU) pour prendre part à la 4e édition de ce jumelage. Je ne serai pas excessif si je disais que Juifs et musulmans détiennent aujourd’hui le record du plus grand mouvement de dialogue mondial.



La nouveauté de l’édition 2011 a résidé pour nous juifs, dans un fait calendaire : la manifestation « Portes ouvertes mosquées – synagogues » s’est tenue lors de Chabbat Hayyé Sarah, c’est-à-dire, le Chabbat où dans toutes les synagogues du monde a été lu le passage de Genèse 25,8-9 et 10, rapportant que « Abraham mourut, … ses fils Isaac et Ismaël le mirent au tombeau dans la grotte de Makhpélah à Hébron ». Comme symbole des retrouvailles des deux frères, on ne pouvait trouver de meilleure image.



Vous vous êtes fait connaitre par le bus de l'amitié. Depuis plusieurs années, vous partez régulièrement sur les routes de France. Avec quels résultats ?



L’A.J-M.F. à organisé à Evry entre le 28/11 et 2/12/2011, la semaine de clôture du « 7è Tour de France » (mai et juin 2011) et du « 7è Tour d’Ile de France de l’Amitié » (printemps et automne 2011). Sous la présidence de Manuel VALLS, député Maire, un programme d’activités variées a été proposé à la population d’Evry et ses environs, dans les Maisons de Quartiers, au Parking du Centre Commercial EVRY 2, et particulièrement dans les salons de la Mairie où l’on a organisé un concert et une soirée débat sur le « Statut de la femme, entre tradition et modernité ». Sur place, une importante exposition sur « Culture en partage : les traits de similitude entre Judaïsme et Islam », sur les « préjugés, les stéréotypes et les discriminations », enfin sur la propagation en France des « Protocoles des Sages de Sion » et la diffusion de ses idées dans la population française en particulier des banlieues dites sensibles, a permis au président de l’A.J-M.F., le Rabbin Michel Serfaty et l’Imam Mohammed Azizi de présenter les principaux axes de travail ainsi que le bilan des actions de l’A.J-M.F. en 2011. Il fut rappelé qu’une centaine d’activités diverses avaient été organisées à travers l’Ile de France et la province ; près de 12000 personnes avaient pris part à ces rencontres ; plus de 5000 exemplaires de la brochure « Culture en partage : judaïsme et Islam » avaient été publiés et distribués ; enfin que le nombre des antennes de l’A.J-M.F. avait atteint la dizaine.



Depuis sa fondation, quelles sont les réalisations les plus importantes de l'AJMF ?



Nous avons décidé de placer au premier rang de nos priorités : de lutter ensemble contre les discriminations et de favoriser entre juifs et musulmans l'émergence de solidarités, tant au plan social qu’au plan politique, comme la lutte contre les idées populistes ou celles de l'extrême-droite sur le racisme anti-musulman et sur l'antisémitisme. Nous disons clairement notre volonté de contribuer à l’intégration des musulmans dans la société, sachant que les populations les plus discriminées, pas seulement en France mais dans toute l'Europe, ce sont les populations dites issues de l'immigration qui, aujourd'hui, sont victimes de discrimination à l'emploi, au faciès, etc. Ainsi, pour rapprocher la communauté juive de la communauté musulmane, le témoignage de notre solidarité et de notre proximité reste un bon moyen de lutte contre les postures antisémites de certaines de leurs franges. Au gré de ces années d’actions et de rencontres, je peux affirmer, que cette stratégie de solidarité a porté ses résultats. Elle a permis de rapprocher des institutions juives et musulmanes, de rapprocher des populations vivant sur le terrain et travaillant côte à côte au quotidien, soit sur les marchés, soit dans les administrations et dans les services, voire dans les établissements scolaires.



La preuve que notre stratégie reste un des axes les plus prometteurs, c'est qu'aujourd'hui nous sommes sollicités par de nombreuses structures, des maisons de quartier, des M.J.C., pour travailler avec leurs publics, principalement des musulmans, pour leur faire découvrir l'existence de communautés juives qui ne fonctionnent pas comme des lobbies politiques, mais plutôt comme de simples citoyens. Nous répondons à ces sollicitations en allant travailler par exemple avec des groupes de femmes musulmanes et des groupes de femmes juives. C'est une expérience extraordinaire que de voir ces femmes juives et musulmanes préparer ensemble un couscous, éplucher des légumes, manger ensemble et se raconter leurs histoires passées. C'est un excellent moyen pour mieux nous connaître et faire tomber à ces occasions les nombreux tabous qui nous séparent. Imaginez une femme musulmane qui nous déclare: « je n'ai jamais mangé à côté d'un juif. J'ai toujours pensé qu'un juif était un Satan et voilà que j'épluche des légumes avec une juive, que nous nous parlons, que nous nous sourions ».



De la même manière, nous sommes souvent appelés par des moniteurs et des monitrices musulmans pour travailler avec la première enfance. Et parfois, ils nous appellent à « leur secours » parce qu'ils ont affaire à des gosses de CP, CE1 et CE2 qui, disent-ils, « puent l'antisémitisme » et qu’ils ne savent quoi faire. Là encore nous développons des stratégies de travail de proximité avec ces enfants. Le résultat pour nous est évident puisque nous arrivons à transformer pas mal de regards et de mentalités. Je ne peux faire état que de ce que j'ai vécu. Les résultats que nous obtenons font l'objet d'observations judicieuses par la psychologue, l'Imam et les animateurs qui travaillent avec nous. Ce sont aussi les déclarations des responsables politiques des communes responsables des structures de loisirs qui observent et constatent que les résultats de nos interventions sont positifs. D'ailleurs, des rapports sont régulièrement établis par les délégué(e)s des préfets et transmis aux autorités préfectorales locales.



Quand on vous dit avenir, que répondez-vous?



Voir nos communautés et associations juives et musulmanes, accepter de se rencontrer chaque année, partout dans le monde, jusqu’à en faire une commémoration pérenne, le week-end du Chabbat Hayyé Sarah, pour entendre et rappeler ensemble le récit de la rencontre en Genèse 25,8-10, des fils d’Abraham, Isaac et Ismaël, autour de la grotte de Makhpélah. Ne serait-ce pas le meilleur prétexte pour leur faire admettre à tous deux l’impérieux devoir biblique de s’accepter et de se reconnaître comme frères et comme les fils d’Abraham ? et à partir de cette commémoration, de leur reconnaître à tous deux, de façon égale, le droit de revendiquer leur lien aux lieux saints de Hébron ?



Propos recueillis par Haim Musicant



Photo (couscous organisé dans ma communauté avec les musulmans de Ris le we du 20/11 "portes ouvertes en présence du maire Thierry Mandon. De gauche à droite : Patrick Racimor, Pdt de la communauté, Mohamed Touhami, Pdt de la Communauté musulmane, Thierry Madon maire et Michel Serfaty : D.R.