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Publié le 1 Juillet 2019

Crif - L’antisémitisme se développe-t-il sur le terreau de la haine de l'Etat d’Israël ? (1/5)

Certains imaginent que le monde irait mieux si on détruisait Israël. Cette israélophobie radicale et/ou cet antisionisme est l’une des causes majeures de l’antisémitisme contemporain. À ce sujet, le Crif vous propose une série de 5 articles sur le thème : en quoi l'israélophobie et l'antisionisme portent en elles les germes de l'antisémitisme et se révèlent d'une incroyable violence ?

Par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif

Depuis l’année 2000, les commentateurs, journalistes, politiques, experts… s’accordent sur le fait qu’il y a une montée spectaculaire des actes (atteintes aux personnes et aux biens) et des menaces (intimidations, graffitis, tracts) contre les juifs de France. Et, lorsqu’on parle alors d’antisémitisme, les mêmes évoquent généralement plusieurs causes : de puissants stéréotypes et préjugés quelquefois moyenâgeux, les théories conspirationnistes doublés d’un refus du système, la propagande distillée par la nébuleuse complotiste, radicalisation, fondamentalisme et islamisme, instrumentalisation diverse de l'ultra droite et/ou de l'ultra gauche. Ces différents facteurs ou ces différentes mouvances permettent à l'antisémitisme de se développer et de prospérer plus ouvertement, notamment mais pas seulement.

L’israélophobie

Des individus sont animés par un sentiment d’hostilité à Israël plus ou moins diffus, exacerbé par la médiatisation d’affrontements au Proche-Orient. Au-delà, ils font d’Israël, la cause de tous les maux nationaux et internationaux. L’historienne Annette Wieviorka explique à ce sujet que « cet antisionisme rédempteur est très proche de l’antisémitisme de l’Allemagne nazie (1). »

Ceci facilite donc leur projection dans un conflit, qui à leurs yeux, reproduit même chez certains, des schémas d’exclusion et d’échec dont ils se sentent victimes en France. À force de lire et de rabâcher que les Israéliens se comporteraient comme des monstres ; à force à l’inverse, d’idéaliser la cause palestinienne, érigée en nouvelle lutte des peuples, certains s’en prennent, à défaut d’Israéliens, aux Juifs.

Tout cela se faisait/se déroule encore dans un contexte où l’antisémitisme et l’antisionisme ont conquis un droit de cité planétaire dès août 2001, à Durban, en Afrique du Sud, lors de la Conférence de l’ONU contre le racisme. Le conflit israélo-palestinien, qui n’avait rien à y faire, a occupé tous les participants et Israël a été mis au ban des nations. Ajoutons que les islamistes travaillent les banlieues, ils savent désigner l’ennemi ou les ennemis (les Juifs, la France…). Pour eux, les Juifs et, dans une moindre mesure, les chrétiens, ont rejeté le Prophète et l’islam. Dans les prêches ou sur Internet, ils présentent ainsi une vision complotiste d’un islam prétendument menacé par les Américains, les Européens et les Juifs.

C’est ainsi, aussi, qu’Israël focalise tout un imaginaire conspiratif, explique le philosophe Pierre-André Taguieff.

Les noms « Israël » et « sioniste » tendent depuis un demi-siècle à remplacer le nom « Juif ». Dans un entretien à L’Express, Taguieff remonte aux origines de la judéophobie pour comprendre pourquoi Israël est perçu « comme la tête d’une conspiration internationale (2) ».

Puis, il décrit plus précisément ce qu’est l’israélophobie :

« L’israélophobie n’est que la pointe visible de l’antisionisme qui, dans ses formes radicales, a pour objectif la destruction de l’État juif. La dénonciation du « complot sioniste mondial » est le produit d’un héritage de l’antisémitisme européen qui, depuis les années 1920, s’est peu à peu mondialisé, avant de s’islamiser d’une façon croissante à partir des années 1950. Les victimes imaginaires du paléo-complot juif étaient les chrétiens. Celles du grand « complot sioniste » sont d’abord et avant tout les Palestiniens, les Arabes et plus largement les musulmans.

On constate que la plupart des accusations stéréotypées contre les Juifs sont projetées sur Israël : haine du genre humain, tendances criminelles, volonté de dominer le monde, propension à conspirer, à mentir et à manipuler l’opinion, racisme (« apartheid ») et impérialisme.

Que dit le recensement des actes à ce sujet ? 

Nous disposons d’un indicateur d’importance pour parler de ce sujet : des données statistiques permettent de mesurer la tendance, lorsque l’on parle d’augmentation des actes antisémites sur le territoire national (3).

81 actes ont été comptabilisés, en 1998 ; 82 en 1999. Puis, on passe subitement à 744 (10 fois plus) en 2000. Les chiffres annuels fluctuent ensuite, à la baisse ou à la hausse. Et pour les hausses 744, donc en 2000 ; 936 en 2002 ; 974 en 2004 ; 832, en 2009 ; 614, en 2012 ; 851 en 2014, puis 808 en 2015.

Examinons les chiffres :

-Respectivement 744, 936 et 974 actes comptabilisés en 2000, 2002 et 2004. Or, ces chiffres peuvent être mis en relation avec l’importation en France d’un conflit lointain qui oppose Israël au Hamas : la Seconde intifada (2000-2004) (4). Ce conflit suscite une émotion forte. Pour eux, le conflit se résume à cette équation : Juifs = Israéliens = nazis. Il y a pourtant là une particularité: tous les conflits du monde ne suscitent pas une telle passion, une telle crispation. Étrangement, le conflit israélo-palestinien semble cristalliser toutes les émotions.

Pourquoi?

Le sociologue Smaïn Laacher avait analysé ainsi le profil des jeunes qui sont passés à l'acte (Le Monde, vendredi 3 novembre 2000): « C'est la force des images (de ce conflit) vues à la télévision qui a fait basculer les plus enclins à la délinquance. » De fait, pour de nombreux observateurs, l'impact des images télévisées constitue l'explication principale des dérapages. « Pour moi, c'est une identification dans un monde de l'image. Ces jeunes gens voient des affrontements très violents à la télé; ils se sentent solidaires et, par amalgame, s'attaquent à des symboles juifs, à défaut de cibles israéliennes », déclare pour sa part Mehdi Lallaoui, réalisateur, figure du mouvement associatif, militant dans les banlieues depuis plus de vingt ans et figure de la Marche pour l'Egalité, en 1983.

En 2009, 832 actes sont répertoriés contre 397, l’année précédente. Or un autre conflit se développe cette année-là et oppose Israël au Hamas (5). En 2012, 614 actes sont répertoriés contre 389 l’année précédente. Là encore, se développe à 4000 km de là, un conflit armé qui oppose Israël au Hamas (6). En 2014, 851 actes contre 423, l’année précédente (7). En 2017, la situation se tend encore. Après la décision américaine de transférer son ambassade à Jérusalem, le leader du Hamas se prononce pour le lancement d'une nouvelle « intifada ». Des violences ont lieu sur le territoire national.

Et la logique est strictement la même. 

Nous avons affaire à une importation du paroxysme du conflit israélo-palestinien et cela se répercutait/ se répercute dans plusieurs pays et non seulement en France. A défaut de s’en prendre à des Israéliens, on visait/vise des Juifs, suspectés de soutenir la politique d’Israël et assimilés à des nazis.

L’antisionisme – qui accuse l’Etat d’Israël de violence systématique, de racisme, d’apartheid et qui, sous sa forme radicale, veut sa disparition pure et simple en l’accusant de tous les maux du monde – constitue pour le philosophe Pierre-André Taguieff le dernier avatar de l’antique et multiforme haine des juifs. « Le slogan « Mort à Israël ! » a remplacé le slogan « Mort aux juifs ! ».

À suivre…

 

1)                   Annette Wieviorka, « Le débat est toujours démesuré à propos d’Israël », Le Monde, 21 février 2019, p. 26.

2)    Interview parue dans L’Express sous le titre « Taguieff décortique les théories du complot » (propos recueillis par Alexis Lacroix), 12 mai 2018, https://www.lexpress.fr/actualite/societe/taguieff-les-complots-repondent-a-un-besoin-d-ordre_2007876.html. Voir également: Marc Knobel, « Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013 », Paris, Berg international, 2013, 350 pages.

3)    Le recensement comptabilise les actes antisémites ayant fait l’objet d’une plainte ou d’une main courante auprès des services de Police et transmis au SPCJ. Il est enrichi et recoupé par les signalements émanant des différents services de Police sur le territoire français et centralisés au Ministère de l’Intérieur.

4)    L'Intifada est déclenchée le 28 septembre 2000, après la visite d'Ariel Sharon -à l'époque chef de la droite, dans l'opposition- sur le Mont du Temple à Jérusalem.

5)    Le 27 décembre 2008, Tsahal lançait l'Opération « Plomb Durci » à Gaza suite à la persistance des activités terroristes et des tirs de roquettes émanant de la bande de Gaza.

6)    Le 14 novembre 2012, Tsahal lance l'Opération « Pilier de Défense » contre les organisations terroristes de la bande de Gaza.

7)    L’Opération Gardien de Nos Frères a été lancée par les israéliens suite au kidnapping de trois jeunes israéliens, Eyal, Gilad et Naftali, par les terroristes du Hamas, au cours du mois de juin 2014. Le but de cette opération était de retrouver ces garçons et de frapper le Hamas.