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Publié le 22 Mai 2017

#Crif - Beaune la Rolande : Eliane Klein, Crif Région-Centre

Je dédie mes paroles à ceux qui, vivants ou disparus, Henry Bulawko, Zaman Brajer et tant d'autres, ont répondu à la terrible obstination des nazis d'effacer toute trace de leurs crimes, ont répondu au silence prévalant sur le sort des Juifs dès la fin de la 2ème guerre mondiale, en consacrant une grande partie de leur vie à témoigner de l'enfer qu'ils avaient vécu, à oeuvrer pour que l'histoire de la Shoah fut connue et transmise.
Je les dédie également aux "orphelins de la Shoah", ces orphelins qui ont  survécu, cachés, souvent sauvés par leurs familles d'accueil, ces Justes, connus ou inconnus...
"Ces enfants ont vécu la douloureuse expérience de l'absence et de l'attente vaine" (Simone Veil).
 
Si, comme chaque année, un dimanche de mai,, nous sommes réunis ici, près des stèles où sont inscrits les noms de ceux qui, avec des millions d'autres, ne reposent pas dans un cimetière, n'ont aucune place dans aucun cimetière, je m'interroge plus que jamais, sur le sens de cette commémoration : la commémoration officielle peut avoir son revers, celui de figer la mémoire et de la banaliser si l'on s'en tient aux formules compassionnelles ou incantatoires, au sempiternel "plus jamais ça", au" préchi-précha" moralisateur qui n'engagent à rien, qui sont source d'oubli et qui sont régulièrement trahis dans le monde depuis la fin de la 2ème guerre mondiale.
 
Si nous venons ici, chaque année, comme l'ont fait nos parents avant nous, c'est par fidélité et dans le sentiment d'une dette envers ceux qui, internés dans les camps de Pithiviers et Beaune la Rolande, sur ordre du gouvernement de Vichy, furent envoyés à Auschwitz pour y être assassinés.
 
75 ans après les premières déportations, nous sommes ici car comme l'a écrit Vladimir Jankélévitch : " Le temps qui émousse toutes choses, le temps qui travaille à l'usure du chagrin, le temps qui favorise le pardon et l'oubli, n'atténue en rien la colossale hécatombe; au contraire, il ne cesse d'en aviver l'horreur".
 
Mais le geste accompli ici, chaque année s'inscrit dans notre volonté de  réfléchir, de comprendre les mécanismes de l'horreur.
 
Car "face à l'ampleur du désastre, il reste la digue de la connaissance et le contrepoison de l'intelligence qui décrypte la machine de mort". (Vassili Grossman).
 
L'impératif de la connaissance nous appelle  à la modestie, car il y aura toujours quelque chose d'intransmissible dans le calvaire vécu dans les camps, il y a aussi une mémoire sans paroles, celle des millions d'adultes et d'enfants juifs disparus dans ces camps de la mort ou massacrés par les Einsatz gruppen dans les territoires de l'ex URSS.
Il reste que le "travail d'Histoire" est fondamental dans notre quête de sens.
 
Il s'agit d'appréhender "la singularité de l'extermination des Juifs d'Europe... la spécificité d'un fait historique... lui donner toute sa profondeur politique..." (Barbara Lefebvre)
 
Pour l'historien, la Shoah est un fait d'Histoire qui s'inscrit dans un certain cheminement politique de l'Occident, dans l'Allemagne en particulier, qui a abouti à une rupture dans la civilisation : la notion de personne humaine a été abolie par le Droit nazi qui a légalisé l'anéantissement d'un peuple, le peule juif, pour crime de naissance ; ce discours juridique  autorisait qui a le droit d'habiter la terre ou non,  expulsant les Juifs du genre humain.

Le récit historique nous révèle cette terrible vérité : pour la mise en oeuvre de ce dessein criminel, ce "trou noir de l'histoire", la Shoah, ce ne fut pas la  barbarie coexistant avec le progrès technique, c'est les moyens de la civilisation au service du mal radical : les camps de la mort et le gazage des victimes détruites comme le mal absolu, comme  de l'ordure. Le camp  de Tréblinka figurant le paroxysme de cette barbarie.

 
Le récit historique nous éclaire aussi sur cette singularité ou, contrairement aux massacres précédents, le projet démentiel fut d'aller chercher les Juifs aux 4  coins de l'Europe pour les convoyer jusqu'au lieu de leur assassinat.
Ce projet démentiel  a été réalisé grâce  au recrutement de la pègre, des truands et aussi par des "hommes ordinaires", bons pères de familles le soir et les pires assassins le lendemain, qui formaient les Einsatzgruppen, tuant par camaraderie, par "esprit de corps", communiant dans la bassesse et l'ignominie"
 
En fait, une grande partie du peuple allemand a consenti au nazisme, par peur, lâcheté ou haine antisémite, manipulée par  une propagande diffusée dans une communication de masse.
 
Le travail d'Histoire évoqué lors de cette commémoration, cette mémoire qui nous oblige, prennent tout leur sens s'ils nous permettent de décrypter le présent, la féroce actualité du présent , de "voir ce que l'on voit" (Charles Péguy) et, surtout, de nommer  ce que l'on voit, pour paraphraser la phrase d'Albert Camus. Comme l'a écrit la philosophe Elisabeth Badinter," le déni de la réalité est un cancer" aux effets ravageurs (Préface de "une FRANCE SOUMISE")
 
"L'ensauvagement du monde", maintes fois évoqué depuis des années, s'est amplifié, mettant en péril toutes les démocraties.
 
Force nous est de constater un phénomène très inquiétant- qui n'est pas propre à la France, mais qui nous concerne particulièrement : les effets pervers d'internet et des réseaux sociaux : dans notre monde hyper connecté et surinformé, parallèlement aux images ultra-violentes diffusées dans des vidéos," préparant le terrain au fanatisme meurtrier", la progression incessante de la technologie va de pair avec la progression de l'ignorance et de l'obscurantisme; ainsi se multiplient les théories du complot, le conspirationnisme justifiant l'appel au Djihad et le terrorisme, le racisme, l'antiracisme dévoyé, l'homophobie,  le sexisme, l'antisémitisme et l'antisionisme mortifères, le négationnisme, la haine de la démocratie et de ses principes, en particulier l'égalité homme/femme et la laïcité, le dénigrement des principes humanistes au nom du multiculturalisme et du relativisme historique.
 
Cette haine  a mené les tueurs-islamistes français- à frapper le coeur de notre civilisation, la démocratie et les valeurs qui la fondent, ses institutions,   a mené à attaquer la France dans sa "manière de vivre" : policiers, militaires , journalistes, public du Bataclan , personnes aux terrasses de bars et restaurants, la foule de la Promenade des Anglais  le 14 juillet 2016... : tous victimes de cette nouvelle barbarie.
 
A cet instant, comment ne pas évoquer le nouvel antisémitisme ( dont nous n'analyserons pas les causes ici, mais l'influence de l'islam radical y joue un rôle prépondérant)- véritable code culturel dans certains quartiers , justement nommés "territoires perdus de la République" (Georges Bensoussan).
 
La libération de la parole antisémite sous toutes ses formes a mené au basculement très violent des passages à l'acte...
Parmi les 12 Juifs assassinés par des terroristes islamistes depuis 2006,  les  3 petits enfants de l'Ecole Ozar Hatorah (Ohr Torah) tués à bout portant par un islamiste français   qui avait été scolarisé dans un collège de Toulouse.
 
L'antisémitisme, comme l'atteinte à la liberté des femmes et à la laïcité, est le signe d'une fragilisation de la démocratie.
Aussi, j'espère que nous saurons garder les yeux ouverts   face à toutes les dérives du langage( comme le chantage à l'"islamophobie")et du comportement, toutes  les atteintes  à la Démocratie et aux valeurs  universelles qui la fondent, en   ayant le courage  d'oeuvrer pour que ces principes ne soient pas des voeux pieux, vides de sens.
 
Je voudrais terminer en citant quelques mots de l'helleniste Jacqueline de Romilly, en 2007 : "Apprendre à penser, à réfléchir... à écouter l'autre, c'est être capable de dialoguer, c'est le seul moyen pour endiguer la violence effrayante qui monte autour de nous. La parole  est le rempart contre la bestialité".