Actualités
|
Publié le 12 Février 2015

Commission du Souvenir 5 février 2015

Karel Fracapane a brossé un paysage fouillé de l’état de l’enseignement de la Shoah en Europe et dans le monde.
 

La commission du souvenir du CRIF a reçu jeudi 5 février 2015, Karel Fracapane, administrateur principal pour l’enseignement de la Shoah, secteur de l’Éducation, à l’UNESCO.
Les semaines qui viennent de s’écouler drainant leur lot de commémorations à l’occasion du 70e anniversaire de la découverte des camps dont celle d’Auschwitz-Birkenau ont donné lieu à de multiples discours, propos, voire verbiage sur la Shoah en général et son enseignement en particulier. On aura aussi évoqué des questions essentielles liées à la préservation du site, à la nouvelle exposition permanente du Musée d’Auschwitz, à l’enseignement de la Shoah en l’absence des témoins, etc.
Introduisant son propos par le chiffre vertigineux d’un million et demi de visiteurs s’étant rendu l’an passé à Auschwitz, Karel Fracapane a brossé un paysage fouillé de l’état de l’enseignement de la Shoah en Europe et dans le monde. Que ce million et demi de visiteurs soit largement issu d’autres continents que l’Europe doit-il nous inquiéter ? Est-ce à dire que les Européens se désintéressent du sujet ? Ou au contraire, doit-on en déduire que la Shoah est devenue tellement centrale dans la culture et le patrimoine des Européens qu’il devient difficile pour un touriste de passer à côté lorsqu’il visite le continent ? C’est aussi et surtout parce que la problématique déborde aujourd’hui largement des frontières du continent où le crime a eu lieu.
Les Coréens par exemple, sont aujourd’hui trois fois plus nombreux que les Hongrois à se rendre sur le site de mémoire sinistre.
En 2015, et quelle que soit l’approche adoptée, le fait que la Shoah soit enseignée sur les cinq continents notamment tient en partie à l’implication des organisations internationales dont l’UNESCO.
La question est comment? L’implication de Nations Unies et de l’UNESCO ont stimulé de nouvelles perspectives hors du continent européen et dans des pays qui n’ont pas de lien avec la Shoah.
Il y a bien une universalisation de la mémoire de la Shoah. Le génocide en soi apparait comme un point historique permettant notamment d’aborder la question des violences de masse, ou par un effet de prisme une façon  d’aborder les questions demeurées taboues de son propre passé traumatique et d’inscrire son histoire de crimes contre l’humanité dans un contexte plus large des (comme cela peut être le cas dans certains pays du continent sud-américain ou d’Afrique) ou bien souvent aussi la question des droits de l’homme et son possible corollaire, la dissolution du sujet dans un discours lénifiant.
Pour autant, si l’histoire de la Shoah tend à devenir un imaginaire historique partagé par de nombreuses nations du monde, celui-ci ne conduit pas pour autant à un enseignement standardisé.
L’UNESCO a ainsi récemment publié avec l’Institut Georg Eckert pour la recherche internationale sur les manuels scolaires publier une nouvelle étude, (International Status of Education about the Holocaust: A Global Mapping of Textbooks and Curricula ) – qui compare les modes selon lesquels la Shoah est présentée dans les programmes et les manuels scolaires à travers le monde. L’étude présente la situation actuelle de l’enseignement de la, Shoah dans les programmes d’histoire et de sciences sociales du niveau secondaire, par l’analyse de 272 programmes dans 135 pays, et de 89 manuels scolaires publiés dans 26 pays depuis 2000. sur l’enseignement de la Shoah dans le monde entier. L’organisation distingue quatre catégories qui restent néanmoins à considérer avec précautions :
•          Des « références directes »: la Shoah apparaît de façon explicite dans les programmes scolaires de près de la moitié des pays étudiés, dont la quasi-totalité des pays d’Europe. La terminologie diffère (Shoah, Holocauste, génocide des Juifs), mais l’objet d’étude assigné par le programme est clairement identifié. 
•          Des « références partielles », en d’autres termes il y a dans le programme une référence directe à la Shoah, mais cette référence n’a pas pour objectif principal l’étude de l’histoire de la Shoah (vient illustrer un autre propos relatif à l’enseignement des droits de l’homme par exemple).
•          Celle dont la référence à la Shoah n’est pas explicite : bilan de Seconde Guerre mondiale, doctrine nazie, étude comparée des génocides (cas de 46 pays.)
•          Celle des 28 pays dans le monde qui ne font aucune référence à la Shoah ( Angola, Azerbaidjan, Cameroun, Népal etc.)
Ces données sont à prendre avec grande précaution : inscrire le sujet au programme n’offre pas la garantie qu’il sera véritablement enseigné, et encore moins qu’il sera bien enseigné. Il faut passer par bien d’autres phases pour arriver à ce résultat (sensibilisation et formation des acteurs, diffusion des matériaux dans les langues locales comme, par exemple, la traduction de matériaux de l’UNESCO en Peul ou Wolof, etc.). De la même manière, le fait de ne pas inscrire le sujet au programme n’empêche qu’il soit enseigné. L’Ecosse pas exemple s’illustre remarquablement dans l’enseignement de la Shoah alors que le sujet ne figure pas au programme scolaire officiel. Certains autres cas sont plus complexes encore et ne rentrent véritablement dans aucune catégorie, par exemple la Suisse où l’enseignement de la Shoah est obligatoire, mais ne figure pas au programme de tous les cantons.
Au-delà de cette cartographie, l’UNESCO apporte des résultats plus fins en analysant dans les manuels scolaires de 26 pays les représentations qui sont données de la Shoah. Il apparait que la tendance à la globalisation de cet enseignement s’accompagne de façon quasi-systématique d’effets de « domestication »: l’histoire du génocide est représentée et conceptualisée sur la base d’intérêts strictement locaux.
L’étude montre clairement que les éléments historiques de base, qui permettraient aux apprenants à mieux « connaitre » cette histoire pour elle-même et à s’interroger sur sa signification historique et politique - plutôt que d’en « entendre parler » - font dans bien des cas encore défaut dans les matériaux utilisés. Or « l’enseignement de la Shoah n’a de sens que s’il est basé sur une investigation rigoureuse de l’histoire » rappelle Karel Fracapane.
C’est pourquoi l’UNESCO poursuit ses efforts d’assistance technique auprès des Etats membres, de formation et aussi de mobilisation et de plaidoyer en maintenant surtout là où ils sont étroits, des espaces de dialogue.