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Publié le 5 Juin 2015

Boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël, en France. Sa genèse

La cause palestinienne est emblématique à plus d’un titre, elle draine de multiples solidarités, passions ou/et actions.
Nous présentons dans ce document les éléments qui permettent de comprendre ce sujet sensible et d’analyser les objectifs idéologiques de ces associations militantes, en relation avec l’Autorité palestinienne.

Par Marc Knobel

La cause palestinienne est emblématique à plus d’un titre, elle draine de multiples solidarités, passions ou/et actions. Au nom de cette cause, des associations militent, tout en entretenant entre elles de multiples liens et contacts. Elles se retrouvent principalement à gauche ou à l’extrême-gauche de l’échiquier politique et mobilisent les militants de l’anti globalisation et de luttes alternatives. De plus, elles encouragent en permanence les militants afin qu’ils sensibilisent les médias et l’opinion publique. Pour ce faire, de multiples actions sont proposées, dont - et depuis peu - l’appel au boycott des produits « made in Israël ». Nous présentons dans ce document les éléments qui permettent de comprendre ce dossier sensible et d’analyser les objectifs idéologiques de ces associations, en relation avec l’Autorité palestinienne.
 

Les Etats arabes et le boycott d’Israël

Pour parler du boycott, il faut remonter assez loin dans le temps. Le boycott d'Israël commence par le boycott du sionisme, avant même la création de l'État israélien. Le boycott est même instauré religieusement dans diverses fatwas et la Ligue arabe met en œuvre le boycott formel du sionisme puis d'Israël, dès le 2 décembre 1945.

Les produits juifs et des biens manufacturés sont considérés comme des produits indésirables pour les pays arabes. Toutes les institutions arabes, les organisations, les commerçants, les agents commissionnés et les individus sont appelés « à refuser de négocier, distribuer ou consommer des produits sionistes ou les produits manufacturés » Le boycott, tel qu'il évolue depuis 1948, est divisé alors en trois composantes. Le boycott primaire interdit les échanges directs entre Israël et les nations arabes. Le boycott secondaire s'adresse aux entreprises qui font des affaires avec Israël. Le boycott tertiaire inclut des listes noires d’entreprises qui commercent avec Israël. L'objectif du boycott est d'isoler hermétiquement Israël de ses voisins et de la communauté internationale. Cependant, le processus de mise à l'index d’Israël est capricieux et il est difficile à organiser. A noter qu’une des mesures prises par la Ligue des Etats arabes, afin de s’opposer à l’existence d’Israël, fut la création à Damas, en 1951, du Bureau de la Ligue pour le Boycott d’Israël ; ce bureau a pour mission de dénoncer, deux fois par an, les compagnies israéliennes et internationales afin qu’un boycott leur soit imposé.

C’est en 1978, que le Congrès américain adopte une loi permettant de poursuivre en justice toute société qui se conformerait à un « boycott non-décidé par les Etats-Unis à l'égard d'un pays ami. » Cette mesure vise en réalité le boycott arabe à l'égard d'Israël. Deux pays européens adoptent des législations similaires, peu appliquées dans les faits: la France (en 1977, avec modification en 1981) et l'Allemagne (en 1990). Un projet de loi est également discuté aux Pays-Bas en 1982, mais il n’aboutit pas.

Suite à la première guerre du Golfe, les pays du Conseil de Coopération du Golfe proposent de lever ce boycott, en échange du gel de la « colonisation » israélienne dans les Territoires Occupés. De plus, le processus de paix initié à Madrid en 1991 a un impact considérable sur l'application du boycott: le Maroc, par exemple, développe des liens économiques directs avec Israël avec des échanges commerciaux qui s'élèvent à un total de 100 millions $ en 1993.

La Déclaration de Principes, signée par Israël et l'OLP en septembre 1993, accentue cette tendance: le Qatar (membre du CCG) entame des discussions préliminaires en janvier 1994, avec pour but un accord valant plus d'un milliard $ sur les exportations de gaz naturel vers Israël. Dès que le traité de paix entre la Jordanie et Israël est signé en octobre 1994, les six pays du Conseil de Coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Koweit, Qatar, Bahrein, Oman et les Emirats Arabes Unis) annoncent leur décision de ne plus appliquer le deuxième et le troisième niveau du boycott. En fait, ces aspects du boycott étaient déjà largement ignorés. En septembre de la même année, le Maroc et Israël ouvrent des bureaux de liaison dans leur capitale respective, incitant la Tunisie à faire de même.

Plus récemment, en raison du développement des relations diplomatiques entre Israël et les gouvernements de certains pays arabes, on assiste à un renforcement du boycott et à des mouvements anti-normalisation populaires, organisés par des syndicats professionnels et étudiants, en particulier en Egypte et en Jordanie. Enfin, en octobre 2009, les représentants de seize Etats arabes se réunissent, à Damas. L’objectif : renforcer le boycott économique envers Israël qui dure déjà depuis plusieurs décennies, mais qui s’était affaibli.

Les premiers appels au boycott en France (2002 - 2004)

Le 2 juin 2002 une motion pour le boycott des produits israéliens est votée à l’unanimité par la plus vieille association pro palestinienne de France: l’Association France Palestine Solidarité (AFPS). Le samedi 15 juin 2002, l’AFPS organise une réunion nationale sur le thème du Boycott. Parallèlement, plusieurs appels sont lancés par d’autres associations. L’un d’entre eux est intitulé : «  Non à l'occupation ! Non à l'apartheid ! Boycott des produits israéliens ! » Cet appel collectif du 11 juillet 2002 rassemble des organisations d’extrême gauche et des mouvements alternatifs.

En avril 2002, un Appel pour un moratoire sur les relations scientifiques et culturelles avec Israël est signé dans plusieurs pays européens (Allemagne, Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Irlande, Islande, Israël, Italie, Norvège, Portugal, Suède, Suisse). Le texte stipule que les universitaires et chercheurs européens, doivent exercer une pression sur les autorités israéliennes. Et, comme nombre d'institutions culturelles et scientifiques nationales ou européennes, et tout particulièrement celles qui sont financées par l'Union Européenne et la Fondation Européenne des Sciences, confèrent à Israël le même statut qu'aux États européens quant aux attributions de contrats et de fonds, les signataires exigent un moratoire sur toute forme de collaboration institutionnelle et de soutien matériel en direction des organismes israéliens « jusqu'à ce que le gouvernement israélien se soumette aux résolutions de l'ONU et entame des négociations de paix sérieuses avec les Palestiniens, selon les lignes proposées dans de nombreux plans de règlement pacifique ». A la fin du mois de septembre 2002, un autre appel au « boycott des institutions scientifiques israéliennes » est lancé dans plusieurs pays (Afrique du Sud, Allemagne, Autriche, Australie, Belgique, Brésil, Canada, Chine, Chypre, Danemark, Egypte, Emirats Arabes Unis, Etats-Unis, France, Finlande, Grande-Bretagne, Grèce, Hollande, Irlande, Italie, Japon, Maroc, Mexique, Suède, Suisse et en Tunisie). Cent soixante quatre universitaires et chercheurs français s’engagent à le respecter. Le texte est publié sur le site Internet de la Coordination des Appels pour une Paix Juste au Proche-Orient (CAPJPO).

La CAPJPO est animée par une ancienne militante trotskyste de confession juive, Olivia Zemor. La CAPJPO a pour objet, selon ses statuts : « de contribuer à l’établissement d’une paix juste et durable entre les peuples palestinien et israélien, par l’intermédiaire, notamment, de la création d’un Etat palestinien, à côté de l’Etat d’Israël. En particulier, un tel Etat ne pourrait voir le jour qu’avec la mise en œuvre, dans la région, des principes et résolutions des Nations-Unies relatifs à l’occupation par Israël des territoires palestiniens en 1967, ainsi que des Conventions de Genève; la création d’une force d’interposition internationale; et toutes mesures d’urgence que dicteraient, au regard de la réalisation d’un tel objectif, les développements de la situation internationale et régionale. »  En réalité, la CAPJPO se signale par son extrême radicalité. Les militants sont engagés politiquement, ils sont très déterminés et ils disposent de nombreux relais (gauche et extrême gauche, mouvements alternatifs). Aussi, la CAPJPO se comporte-t-elle en véritable groupe de pression qui cherche à susciter dans l’opinion publique un grand courant d’hostilité à l’égard d’Israël. C’est dans cette optique, que la CAPJPO promeut, soutient et organise le boycott en envoyant des militants sélectionner les produits israéliens, les jeter, tout en scandant des slogans hostiles et en faisant peur aux consommateurs.

Le 28 septembre 2002, les appels au boycottage, trouvent leur caisse de résonance dans la manifestation qui est organisée à Marseille. Le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien (de Marseille), qui organise cette manifestation est soutenu par cent cinquante associations et partis, dont les Verts, la Ligue Communiste Révolutionnaire (4ème Internationale) et le Parti Communiste Français (PCF). Le Collectif choisit le 28 septembre pour manifester car c’est la « date anniversaire de la deuxième Intifada » et Marseille, parce que ce port est le « symbole des échanges entre la Méditerranée et l'Europe », mais aussi un quai, surnommé « quai Carmel » par les dockers, est exclusivement réservé à l'arrivage des fruits et légumes israéliens à destination de l'Europe. Or, depuis le mois d’avril, Alain Castan, porte-parole du Collectif de Marseille, tente de convaincre les épiciers de ne plus vendre d'oranges Jaffa ou d'avocats Carmel. Il veut faire de ce 28 septembre le « lancement d'une campagne nationale de boycott des produits israéliens ». Outre les produits israéliens tels que les agrumes mais aussi les vêtements Gottex, les produits Epilady, les transports d’El-Al, les systèmes d’arrosage Naan et Natafim, les activistes demandent de ne pas consommer les produits fabriqués par des entreprises soutenant la politique israélienne : Celio, Levi Strauss, Häagen-Dazz, Sunny Delight, Pepsi Cola. Par ailleurs, un encadré publicitaire est publié par le quotidien Le Monde (25 septembre 2002).

Une autre initiative est lancée par la Campagne Civile pour la Protection du Peuple Palestinien (CCIPPP). Le CCIPPP qui est proche de l’extrême gauche, est lancé au mois de Juin 2001, à l'occasion de l'envoi d’une mission civile dans les territoires palestiniens. Très vite, le CCIPPP confectionne des autocollants et des affiches en très grand nombre pour amorcer cette campagne de boycottage des produits israéliens. Le thème en est : « Made in Israël, boycottons l'apartheid ! ». Le CCIPPP s’inspire directement du boycott des produits d'Afrique du Sud qui a participé à la chute du régime d'apartheid. Les militants du CCIPPP pensent qu'un boycott (des produits israéliens) s'impose jusqu'au retrait total de l'armée israélienne de tous les territoires, au démantèlement des « colonies » et au respect des résolutions de l'ONU.

Nous remarquons à quel point le CCIPPP - comme les autres associations pro-palestiniennes - s’escriment à comparer Israël à l’Afrique du Sud. Cette comparaison propagandiste s’imprègne de l’esprit de la conférence contre le Racisme de Durban, qui a eu lieu en Afrique du Sud, en septembre 2001. Les détracteurs d’Israël tentent de le couvrir de honte, de le déshumaniser, de l’isoler des Nations et par conséquent de le détruire.

Dans cette perspective, le CCIPPP dresse une liste de produits qui pourraient servir de cible pour ce boycott. Le CCIPPP lance ensuite un appel à la participation financière de tous les individus, les organisations et associations qui se mobilisent pour la « décolonisation » de la Palestine. Le CCIPPP appelle alors tous les groupes à passer commande d'une quantité d'autocollants, afin de pouvoir les coller sur tous les produits en provenance d'Israël dans les grandes surfaces, marchés et magasins. D’autres ONG se joignent à cette campagne, notamment : Droits Devant !, le Droit Au Logement, la Confédération paysanne, l’Union générale des étudiants de Palestine (GUPS-France), le Collectif Palestine Marseille, Palestine 33 ; Evry Palestine et Palestine 12.

Les politiques se mobilisent contre le boycott

Il faut noter également la réaction forte (de 2002 à 2004) d’intellectuels, d’universitaires et de la communauté juive pour contrer les associations pro palestiniennes. Il faut également noter que quelques hommes politiques français, ont réagi fortement. Nous voulons rappeler par exemple l’article qui a été publié dans les pages « Opinions » du quotidien Le Figaro (1er novembre 2002) à ce sujet :

« Le boycott des produits israéliens et des sociétés accusées de sionisme ou de collaboration avec Israël (dont la liste infâme est désormais publique, comme marquée d'une étoile jaune économique), lancé l'été dernier dans notre pays par des personnalités et des associations diverses, doit faire légitimement réagir.

Peu efficace en général sur le plan économique (on se rappelle des appels infructueux contre Danone), la démarche insidieuse qui consiste à utiliser le boycott au nom des droits de l'homme contre certains secteurs économiques marchands mondiaux n'a pas de sens. Il s'agit en réalité d'un contre effet économique et politique, puisqu'au nom de la solidarité le procédé contribue en fait à augmenter un peu plus les difficultés d'une région du monde déjà parcourue par la violence et le terrorisme, aggravant les conditions de vie économiques de ceux, Israéliens ou Palestiniens, que l'on fait semblant de défendre.

Nous n'aurions pas relevé cette manipulation classique si elle n'était une occasion supplémentaire de conforter des idées racistes et antisémites dont la France ne parvient pas à se débarrasser. On peut ne pas être d'accord avec la politique de l'Etat d'Israël, mais l'amalgame commis entre Sharon, Israël, les juifs et le capitalisme international à des consonances historiques trop fortes pour qu'on le laisse se développer en toute impunité.

Le gouvernement actuel a décidé de réagir contre la dérive raciste et antisémite qui parcourt la France depuis le retour de l'intifada. C'est la raison pour laquelle nous, parlementaires de l'UMP et de l'UDF, demandons avec fermeté au ministre de la Justice, garde des Sceaux, d'appliquer la loi française sur la pratique et l'appel au boycott dans toute sa rigueur (article 225-2, 2° du Code pénal, article 23 de la loi du 29 juillet 1881). Nous demandons que la chancellerie déclenche l'action publique auprès des procureurs généraux à l'encontre des personnes et associations, quelle que puisse être leur notoriété, à l'origine de ce boycott favorisant la haine : aucune tolérance ne peut être admise contre ceux qui sont les adversaires de la tolérance. (2)»

Toutes ces tentatives finalement furent avortées dans un premier temps. Mais, les théoriciens et les praticiens du boycott se mirent au travail, afin de rebondir ultérieurement.



Pourquoi les Palestiniens s’inspirent-ils de l’exemple sud-africain   ?



Après la codification et la légalisation de l'Apartheid en Afrique du Sud (1948), le boycott des fruits sud-africains en vente à l'étranger a été suivi avec passion et persistance dans beaucoup de pays et pendant longtemps. Il ne s'agissait pas, cependant, de perturber de façon grave l'économie sud-africaine, basée en large mesure sur l'or et les diamants (en 1979, les exportations d'or constituaient 61% du total des exportations, les oranges et autres fruits quelques pour-cent seulement); ni d'avoir comme but précis (pour reprendre la phrase de Robert Ecuey) « la disparition de l'Etat de l'Afrique du Sud ». Il s'agissait de stimuler la création du climat mondial de réprobation, mépris et colère, qui a contribué à isoler le gouvernement sud-africain. C’est ce qui a permis d'arriver ensuite à la concrétisation des sanctions, décidées par l'OPEP (embargo des livraisons de pétrole, début des années septante), par le gouvernement japonais (embargo des investissements, 1979), par les Nations Unies (embargo généralisé, 1981), par le Congrès étasunien (embargo des investissements, de l'importation d'or et de l'exportation d'armes, 1986), etc. Jusqu'à la fin de l'Apartheid en 1992.



C’est cette campagne qui inspire Omar Barghouti, l’analyste politique palestinien (qui vit à Ramallah), théoricien du boycott (palestinien) et membre fondateur de la campagne pour le boycott le désinvestissement et les sanctions contre Israël (BDS). Son argumentation s’appuie sur le modèle du boycott contre l’apartheid en Afrique du Sud civil. Selon lui, la lutte pour l’abolition de l’Apartheid peut effectivement servir de référence à la lutte actuelle pour la Palestine.

Que dit Barghouti ? : « Les crimes commis à Gaza ont donné une impulsion aux campagnes de la société internationale pour obtenir qu’Israël soit traité comme l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. Sans s’en rendre compte, Israël a déclenché le commencement de la fin pour son régime d’occupation coloniale et sa version particulière d’apartheid » (L’Humanité, 28 mars 2008). En 2009, Omar Barghouti précise sa pensée : « Des gens qui disent maintenant que nous ne devrions pas boycotter les universités israéliennes, qu’est-ce qu’ils ont fait dans les années 80 ? Est-ce qu’ils n’ont pas eux-mêmes boycotté les institutions universitaires sud-africaines ? En fait le boycott sud-africain était un boycott total contre toute chose et toute personne d’Afrique du Sud, pas seulement les institutions. Le boycott palestinien est contre les institutions. Les mêmes personnes qui dans les années 80 ont rejoint un boycott total contre tout ce qui était sud-africain et l’Apartheid sud-africain sont les mêmes personnes qui disent hypocritement maintenant que nous ne devrions pas boycotter Israël. C’est de l’hypocrisie, c’est deux poids deux mesures et c’est traiter Israël comme une exception. »



A noter que ce théoricien du boycott ne s’exprime pas sans l’autorisation de l’Autorité palestinienne, qui couvre et encourage totalement son action.