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La sortie du film "innocence of muslims " a lancé une vague de contestation dans le Proche et le Moyen-Orient entrainant la mort de l'ambassadeur américain à Benghazi. Doit-on s'attendre à de nouvelles attaques ? Concrètement qui est l'origine de ces attaques, Al Qaïda, Ansar al Charia ?
Frédéric Encel : Comme vous pouvez l'imaginer, j'ignore le nom des commanditaires et des assaillants. En revanche, aucun doute qu'une internationale islamiste sunnite ait déclenché ce mouvement. En outre je suis absolument convaincu que ce film consternant - et hélas très réellement islamophobe - soit à l'origine de cette vague de violences ; non seulement il circule depuis de longues semaines déjà sur le net, mais encore la soudaineté, la concomitance et la date des violences dans plusieurs pays arabes révèlent une instrumentalisation cynique. Ce n'est pas sans rappeler la colère à géométrie variable et à chronologie erratique de nombreux islamistes radicaux à l'époque des caricatures ! Alors de nouvelles attaques, oui sans doute, mais ce n'est pas nouveau et, surtout, ne soyons pas naïfs : elles n'ont rien à voir avec telle ou telle provocation réelle ou supposée.
D'après vous, jusqu’où peut aller cette montée de la violence ? Peut-on s'attendre à des manifestations en Europe ?
Pour l'instant je ne crois pas que l'Europe soit une cible privilégiée, car dans l'agenda des islamistes radicaux, c'est l'échéance américaine qui compte, bien davantage que tout rendez-vous politique ou institutionnel européen. Comme tous les fanatiques à travers les âges, ils jouent la politique du pire. Pour eux, mieux vaut l'élection d'un Romney qui sera perçu comme une sorte de croisé, plus ou moins dans le sillage d'un W. Bush honni, que d'un Obama dont le discours - depuis Le Caire en 2009 - est plutôt pondéré et conciliant. Autrement dit, frapper les États-Unis en pleine campagne (et de façon spectaculaire) correspond bel et bien à une stratégie de déstabilisation du candidat démocrate. Je le dis souvent : les islamistes sont des fanatiques mais pas des imbéciles...
Cette situation dans les pays des printemps arabes ne témoigne-t-elle pas de l'échec de l'installation de la démocratie dans les pays du Proche et Moyen-Orient ?
D'abord, il nous faut éviter de galvauder le terme de démocratie. Certes il y eut - et c'est un excellente chose - des scrutins sincères et transparents dans des États ayant vu chuter les dictateurs nationalistes : Tunisie, Egypte, Libye. Mais en majorité relative ou absolue, ce sont des idéologues peu connus pour leur passion de la démocratie qui ont été élus. Cela ne signifie pas que les coalitions Frères musulmans ne vont pas respecter la régularité des scrutins à venir et les libertés fondamentales. Nous verrons à l'usage. Ce qui est certain, c'est que la démocratie ne se construit pas en quelques mois et surtout ne se résume pas à un bulletin de vote. Ensuite, autre certitude, un bras de fer est engagé entre les Frères musulmans d'une part - très politisés et plutôt portés au pragmatisme ces derniers mois - et les salafistes d'autre part, tout à fait fanatisés et dont une branche est clairement djihadiste. Dans les violences de ces dernières heures, il faut aussi prendre en considération cet agenda interne ; plus les provocations djihadistes défieront les pouvoirs en place, plus ceux-ci réagiront par la répression pour ne pas se faire "doubler" sur leur droite, et montrer au monde qu'ils sont en mesure de diriger avec fermeté.
Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Yigal Palmor a dénoncé le film innocence of muslims tout en réaffirmant son soutien envers le pays de l'oncle Sam. Israël peut-il être pris à partie ?
Oui mais sémantiquement surtout ! A quand remonte un attentat anti-israélien revendiqué par un groupe reprochant des blasphèmes ou une toute forme d'islamophobie à Israël ?... Les islamistes reprochent à "l'entité sioniste" d'exister, c'est tout. On est là sur un autre mode de représentation et donc de stratégie. Cela dit, il est très probable que les salafistes égyptiens, très puissants et ayant obtenu le score exceptionnel de 25% des suffrages exprimés aux législatives, commencent bientôt à exercer des pressions sur le gouvernement Morsi avec pour angle d'attaque suivant : qu'attends-tu pour rompre les accords de paix de Camp David ?...
A deux mois des élections américaines, l'engrenage de la violence dans le Proche et Moyen Orient ne peut-il pas entraîner la chute de Barack Obama ?
Oui. Qu'on se souvienne seulement de Jimmy Carter face à Ronald Reagan en 1980...