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Publié le 23 Juillet 2020

Actualités des régions - Discours d'Eliane Klein, déléguée du Crif région Centre, à la commémoration du Vel d'Hiv à Orléans

Dimanche 19 juillet, Eliane Klein, déléguée du Crif Région Centre, a adressé un discours fort à l'occasion des commémorations de la rafle du Vel d'Hiv.

Discours à la mémoire de Sarah Halimi. 

 

En cette journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites - les Tziganes et les Juifs - commises par l'Etat français sous l'autorité du gouvernement de Vichy, et en hommage aux "Justes des Nations", ces femmes et ces hommes, d'origine souvent modeste, connus ou inconnus, qui ont sauvé des Juifs, en particulier des enfants, pendant l'occupation, malgré les risques encourus. Ils témoignent que les êtres humains ont d'autres options que la soumission à un régime criminel. J'ajoute ici le secours apporté par des organisations juives et des associations caritatives chrétiennes.

Je salue les "Justes parmi les Nations", Mr et Mme Pajon, présents à cette cérémonie.

Nous sommes sur cette Place de la République pour rappeler les terribles évènements advenus si près d'ici, où, après la Rafle du Vel d'Hiv, les 16 et 17 juillet 1942, 13 000 Juifs, dont plus de 4 000 enfants furent internés dans les camps de Pithiviers et Beaune la Rolande. Puis, ils furent envoyés directement ou via Drancy - les enfants arrachés à leur mère - dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau pour y être assassinés.

Leur "crime" pour les nazis et leurs complices français : être nés juifs.

Ce qui s'est passé ici est l'un des épisodes les plus tragiques de notre histoire : la complicité active du gouvernement de Vichy, la collaboration à un crime sans précédent, la Shoah, l'anéantissement programmé de tout un peuple. Arrestations et internement avaient été précédés, dès octobre 40, par le fichage, l'exclusion, la spoliation, avant même, parfois, la demande des Allemands.

L'abrogation du Décret Crémieux le 8 octobre 1940, en Algérie, faisait des citoyens juifs français, des parias.

Le projet d'extermination des Juifs n'aurait pu être menée sans le zèle servile, la collaboration de l'administration et des services de police de Vichy.

Toutes les mesures prises, signant la faillite de la démocratie, ne provoquèrent que très peu de protestations. "Combien furent précieux, alors les cris de quelques rares protestataires dans le désert de la soumission"(Michel Winock).

Car le crime contre l'humanité perpétré sur le sol européen est advenu dans le silence assourdissant, l'indifférence des nations à l'origine du terrible sentiment de solitude ressenti par de si nombreux Juifs de France. Je reviendrai sur cette notion de silence, synonyme d'indifférence, de lâcheté, d'abandon, de solitude qui n'est pas sans écho aujourd'hui.

"Des prémices de la guerre jusqu'à sa fin, les gouvernements démocratiques, les organisations humanitaires internationales, le Pape, etc... se sont tus devant la persécution et l'extermination des Juifs (Gérard Rabinovitch), on pourrait multiplier les exemples de soumission, de démission, d'aveuglement et de lâcheté. L'absence de volonté de sauver les Juifs fut masquée par de nombreux alibis. A la Conférence d'Evian en 1938, la SDN avait maintenu les législations restrictives sur l'accueil des Juifs menacés de mort. Aucune aide ne fut décidée, seulement un prêche de bons sentiments. Toutes les frontières se fermèrent à quelques exceptions près (Shanghaï). La conférence n'aura servi qu'à justifier la politique allemande contre les Juifs.

En décembre 1938, Von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich, invité à dîner au Quai d'Orsay, exigea que les Ministres juifs, Georges Mandel et Jean Zay, ne soient pas présents. Le Quay d'Orsay s'exécuta. En 1943, dernier appel des Juifs de Varsovie lors de l'insurrection du Ghetto: "Le monde de la liberté et de la justice se tait et ne fait rien". En fait très rares étaient les leaders démocrates (tel Winston Churchill) qui prenaient la mesure de ce qui se dessinait.

Aussi les questions qui nous hantent : "C'est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau" (Primo Lévi).

Comme l'a écrit l'historien Georges Bensoussan :"L'Histoire du Régime de Vichy illustre cette fragilité de la Démocratie quand ses principes fondamentaux sont bafoués, quand on permet à des idéologies totalitaires de pénétrer l'espace républicain". Vichy avait créé un monstre bureaucratique ne pouvant qu'aider les nazis à parvenir à leurs sinistres fins : la destruction du peuple juif.

Il s'agit donc, d'appréhender "la singularité de l'extermination des Juifs d'Europe... la spécificité d'un fait historique.

La Shoah, génocide planétaire, s'inscrit dans le temps long, il est incompréhensible en dehors de l'étude d'une culture européenne qui a fantasmé la mort des Juifs des siècles durant. (Georges Bensoussan)

Cela a abouti, dans le régime totalitaire allemand, à une rupture dans la civilisation : la notion de personne humaine a été abolie par le Droit nazi qui a légalisé l'anéantissement du peuple juif pour crime de naissance ; ce discours juridique autorisait qui a le droit d'habiter la terre ou non, expulsant les Juifs du genre humain.

Le récit historique nous révèle cette vérité : pour la mise en oeuvre de ce dessein criminel, ce "trou noir de l'histoire", la Shoah, ce ne fut pas la barbarie coexistant avec le progrès technique, c'est les moyens détournés de la civilisation, l'inversion des valeurs, au service du mal radical : les camps de la mort et le gazage des victimes détruites comme le mal absolu, comme de l'ordure. Les camps de Belzec, Sobibor et Tréblinka figurant le paroxysme de cette barbarie.

Cette inversion des valeurs passe par le détournement du langage, légitimant la terreur, mis en oeuvre par des Régimes ou Etats totalitaires pour  mener aux massacres de masse et aux génocides et consistant, en premier lieu, à présenter leurs futures victimes comme des agresseurs( stratégie commune aux Nazis, aux Hutus, etc..).

Ainsi, le travail d'histoire, cette mémoire qui nous oblige, évoqués sans pathos ni invocations moralisatrices ou victimaires, n'ont de sens que s'ils nous conduisent à comprendre les mécanismes politiques à la source des totalitarismes génocidaires passés, présents et à venir.

C'est à dire, "à voir ce que l'on voit", à décrypter la férocité du présent.

Ceci m'amène à exprimer mon inquiétude face à plusieurs phénomènes, la violence radicale  s'amplifiant dans notre pays, mettent en péril notre démocratie:

Dans notre monde hyper connecté et surinformé-internet et les réseaux sociaux, la progression incessante de la technologie va de pair avec celle de l'ignorance et de l'obscurantisme, facteurs d'hyper violence, nourrie par la  manipulation des mots, la multiplication des thèses du complot, terreau fertile pendant la pandémie, racisme, antiracisme dévoyé, ce nouvel antiracisme, "racialiste", déguisé  en humanisme" (Abnousse Shalmani), parlant la langue de l'antifascisme, interdisant une pièce de théâtre ou des conférences, dénigrement des principes humanistes au nom du multiculturalisme et du relativisme historique, haine de la Démocratie, de ses Institutions et de ses principes : laïcité, égalité homme/femme, liberté d'expression...

Cette haine a mené les tueurs islamistes français à frapper le coeur de notre civilisation, notre  manière de vivre, assassinant journalistes, policiers, militaires, prêtre, public du Bataclan,, personnes aux terrasses des cafés, foule de la Promenade des Anglais... au nom de l'islam politique dont le Sénat vient de rappeler le danger pour notre Démocratie.

C'est en son nom que des minorités chrétiennes et leurs symboles sont dévastés en certaines terres d'Islam.

A cet instant, je reviens à ce terrible constat: la pérennité de l'antisémitisme survivant à toutes les convulsions de l'Histoire, mutant comme un virus indestructible: j'en prends pour exemple l'antisionisme, dont le boycott d'Israël (BDS) "est bien l'autre face de la même médaille juridique mise au point par les nazis pour exclure les Juifs avant de les assassiner. Ce boycott essentialise Israël, l'exclut de la communauté des nations. Il le désigne symboliquement comme l'unique source du Mal et donc comme l'Etat qu'il serait juste de détruire."(Simon Epstein)"Cette incitation à la haine d'Israël demeure la source essentielle du nouvel antisémitisme"

Insultes antisémites à la Faculté de médecine de Paris, plus d'élèves juifs dans les écoles publiques de Seine-Saint-Denis, dernièrement slogan "sales Juifs" dans des manifestations prétendant lutter contre le racisme supposé des policiers et de l'Etat, "ce cri qui  comme "mort aux Juifs " résonne douloureusement dans notre mémoire et notre histoire") (Marc KNOBEL)

Et surtout, depuis 2003, 14 Juifs assassinés pour ce qu'ils sont, par des tueurs islamistes français, passés par l'Ecole de la République... sans citer les noms de toutes les victimes, je veux évoquer les 3 petits enfants juifs de l'école Ozar Hatorah de Toulouse, tués de sang froid : quand l'assassin empoigne la petite Myriam Monsonego par les cheveux et lui loge une balle dans la tête à bout portant, il réitère le geste des SS.( Robert Badinter)

Très peu de citoyens français ont manifesté après cet assassinat.

Est-ce indifférence ? Le signe de ce nouvel antisémitisme, culturel, idéologique? Ou un effet du déni de la réalité, "ce cancer qui ronge notre société"?(Elisabeth Badinter)

Déni qui touche plusieurs couches de notre société: déni des médias, silence ou omission ou minoration des crimes par ignorance volontaire ou indifférence, dénis judiciaires dans la lenteur ou le refus de qualifier l'antisémitisme (Sarah Halimi), justifications sociologiques, alibis psychiatriques, aveuglement de certains intellectuels, tentations d'accommodements de certains élus...

En conclusion, la lutte contre l'antisémitisme comme  celle contre le racisme réel, nous concerne tous, citoyens français.

Et, comme l'a écrit l'historien Georges Bensoussan, "il incombe aux pouvoirs publics de faire respecter la loi de la République, d'avoir le courage des mots, contre la barbarie, la liberté a un prix, c'est celui du combat".