« Le raïs déchu restait influent même si l'étoile de l'Égypte a pu pâlir aux yeux de la Ligue arabe depuis que ce pays a signé la paix avec l'État juif en 1979 », croit l'ancien ambassadeur. «Il était considéré comme le sage qu'on venait consulter, du côté israélien comme du côté palestinien, pour essayer de redonner au processus [de négociation] la dynamique qu'il lui convient», soutient-il. Une certaine crainte au sujet de «l'après-Moubarak» explique le regard ambivalent d'Israël sur la révolte égyptienne. «Nous savons que les démocraties en général ne se font pas la guerre, et Israël, qui est une démocratie, ne peut que souhaiter des voisinages démocratiques, explique M. Lancry. Néanmoins, Israël se soucie du résultat de ce soulèvement, craignant que ne s'insère dans la foulée la puissante organisation des Frères musulmans. Si l'Égypte devait basculer dans le fondamentalisme, ce serait très préoccupant pour nous, mais aussi pour la région et pour le monde.»
Au moment de quitter ses fonctions à l'ONU, en 2002, Yehuda Lancry avait exprimé sa foi dans le processus de paix israélo-palestinien. Il y croit toujours, malgré les nombreux revers. Pour lui, l'esprit des accords d'Oslo, symbolisé par la fameuse poignée de main entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, n'est pas mort. «Pour deux peuples qui se sont exclus mutuellement pendant un siècle, l'avènement de la reconnaissance mutuelle n'est pas un fait banal», dit-il. On connaît les obstacles à surmonter pour en arriver à une paix durable: statut de Jérusalem, tracé des frontières, droit de retour des réfugiés de 1947-1948, pour ne mentionner que les plus persistants. Le consensus israélien contre le droit de retour (qui menacerait à terme le caractère juif d'Israël) est solide, mais l'obstacle n'est peut-être pas insurmontable. À titre privé, M. Lancry propose qu'Israël rende intactes la centaine d'implantations de Judée Samarie lorsqu'elles tomberont sous la souveraineté palestinienne, au lieu de les détruire comme il l'avait fait en se retirant du Sinaï et de Gaza… «Aujourd'hui, le réfugié palestinien regarde avec une nostalgie quasi furieuse Jérusalem, Tel-Aviv et Haïfa, qu'il considère comme des cités palestiniennes. À ce regard frustré du Palestinien répondrait celui que le rapatrié israélien porterait sur ce qu'il appellerait les cités perdues de Judée et de Samarie.»… «Face aux conflits, le monde n'a d'autre remède que de développer la voie du dialogue à l'échelle la plus large possible, affirme l'ancien diplomate. Il faut essayer de réduire les barrières de séparation, les tranchées, qui peuvent perturber le dialogue et le parcours diplomatico-politique.»
Photo : D.R.
Source : le Devoir