Ce n'était un secret pour personne. Sous Kadhafi, on torturait et on mourait. La libération progressive des villes libyennes révèle chaque jour un peu plus l'ampleur des exactions commises par le régime autoritaire de Mouammar Kadhafi. Les preuves sont accablantes pour celui qui assure n'avoir jamais opprimé sa population.
Fosses communes, corps calcinés, putréfiés, torturés, voilà pour les victimes du soulèvement populaire. Amnesty International a publié des témoignages sur des tortures et mauvais traitements, commis par des rebelles et des forces loyales au dirigeant, ainsi que sur l'exécution de détenus par des pro-Kadhafi alors que les insurgés étaient dans Tripoli.
Dernières victimes d'une longue pratique héritée de l'ère Kadhafi. En libérant les villes une à une, les rebelles ont permis de poser des images sur une réalité loin des regards. Sur quatre décennies d'exactions.
Nounou brûlée
Pendant que les Libyens et les caméras du monde entier découvraient avec stupeur le faste dans lequel vivait la famille Kadhafi dans le complexe résidentiel de Bab el-Aziziya, une équipe de CNN est tombé sur une femme chargée de la garde des enfants d'Hannibal Kadhafi, l'un des fils du dirigeant libyen. Le corps, le visage et la tête brûlés, Shweyga Mullah, raconte calmement aux journalistes comment elle a été aspergée d'eau bouillante, trois mois auparavant, par Aline, la femme d'Hannibal.
La jeune femme de trente ans, originaire d'Ethiopie, était, depuis un an, la nounou des deux enfants du couple. La première fois qu'elle a été brûlée, c'était au bout de six mois. Trois mois après, elle est de nouveau "corrigée" plus sévèrement.
A chaque fois pour les mêmes raisons : Aline perd son calme face à sa fille en pleurs et face à Mullah qui refuse de la frapper. "Elle [Aline] m'a emmenée dans la salle de bain, m'a attachée les mains derrière le dos et les pieds. Elle m'a scotchée la bouche et a commencé à verser de l'eau bouillante sur ma tête", raconte-t-elle en mimant les gestes. Elle explique ensuite qu'Aline l'a caché. Un garde l'a trouvé et emmené à l'hôpital où elle a reçu des soins. Aline aurait alors menacé ce dernier de prison s'il l'aidait de nouveau. Interrogé par CNN, un des collègues de Mullah, originaire du Bengladesh, raconte aussi avoir été régulièrement battu et blessé à coups de couteau.
Salles de torture souterraines
Dès son accession au pouvoir, le colonel Kadhafi a fait de la torture une arme de dissuasion massive contre toute tentative de velléité insurrectionnelle. Pendaisons et mutilations parfois télévisées réussissent à anéantir toute forme de rébellion. En 1980, il accentue la répression et arrête en masse des musulmans soupçonnés de vouloir le renverser. Fin juin 1996, plus d'un millier de prisonniers sont tués par les forces du régime en deux jours, dans la prison d'Abou Salim.
En libérant les prisons sur la route de Tripoli, les rebelles ont découverts des détenus amaigris marqués par les mauvais traitements. En mars 2011, à Benghazi, les populations avaient découvert des salles de tortures souterraines situées dans les casernes militaires. Des zones tenues secrètes, des geôles où disparaissaient les opposants politiques.
Amnesty rappelle aujourd'hui que la torture était généralisée parmi les forces pro-Kadhafi, notamment à la prison Abou Salim. Des témoignages de viols de détenus par des gardiens ont notamment été recueillis par l'organisation.
En avril dernier, des clichés retrouvés dans un poste de police déserté de Zawiyah, à 40 km de la capitale, montraient des actes de tortures pratiqués par les forces de l'ordre sur les prisonniers que le "New York Times" a pu diffuser.
Une enquête pour crime contre l'humanité a été ouverte par la Cour pénale internationale contre Mouammar Kadhafi. Elle concerne aussi les crimes commis avant le début du soulèvement.
Photo : D.R.
Source : Le nouvel Observateur