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Publié le 7 Mars 2011

Thierry Rozenblum : «Pendant la Shoah, la Belgique a abandonné ses juifs»

Le Mémorial de la Shoah organise cette semaine (sauf mardi 8 mars) un cycle consacré à la Shoah en Belgique. Le dimanche 13 mars à 14h30, Thierry Rozenblum, auteur du livre « une cité si ardente. Les juifs de Liège sous l’occupation », présentera son ouvrage en compagnie de témoins. Il répond aux questions de la newsletter du CRIF.




Pourquoi un cycle sur la shoah en Belgique ?



Simplement parce que son histoire est encore mal connue. Ainsi, la Belgique n’a pas été ce petit pays de « cocagne », victime impuissante des Nazis. Ses autorités civiles trouveront des espaces d’insoumission pour refuser ou contester des ordonnances allemandes, mais rien en faveur des Juifs. La communauté juive d’avant-guerre, composée à 95% d’étrangers, sera tout simplement abandonnée. Pourquoi ?
Quoi qu’il en soit le résultat est terrible, la moitié de ses membres sont morts. Moins qu’aux Pays-Bas où 75 % de la population juive a disparu mais plus qu’en France où les trois-quarts ont été sauvés.



Ce cycle de conférences tentera de combler ces lacunes. Les intervenants (chercheurs, réalisateurs, témoins, responsables de musées etc.) aborderont les différents aspects de cette tragédie et feront le point sur une historiographie en pleine mutation.



Le cycle donnera aussi la place éminente qui leur revient aux nombreux Belges qui ont risqué leur vie pour sauver celles de Juifs. Qu’il s’agisse de résistants, de communistes, de catholiques ou de comités et partisans juifs c’est grâce à eux que 3.000 enfants, entre autres, ont survécu.



Ce sera aussi l’occasion de rendre hommage à l’oeuvre magistrale du grand historien de la Shoah en Belgique, Maxime Steinberg, décédé en juillet 2010.



Le dimanche 13 mars sera consacré à la ville de Liège autour de ton livre « Liège une cite si ardente… », publié en 2010. Quel est l’intérêt d’un sujet d’étude circonscrit à cette petite communauté ?



L’échelle micro locale permet, à partir d’une vision à taille humaine - le sort de quasi chacun d’eux est abordé -, de comprendre le mécanisme global de la persécution, puis de la déportation, mis en place par les Allemands.



Au travers de la vie et souvent la mort des 2.500 Juifs de Liège (sur 410.000 habitants) se dessinent des réponses à des questions essentielles. Pourquoi et comment le bourgmestre (socialiste) de la ville et son administration ont-ils appliqué avec tant de zèle les ordonnances antijuives alors que, dans le même temps, ils s’opposaient - parfois avec succès - à d’autres mesures contraires à la législation belge ?



Quelle fut la participation de l’Association des Juifs en Belgique (AJB), l’équivalent de votre UJIF, à la déportation ? Qui fut déporté, pourquoi et comment ? Quelles furent les responsabilités de l’Etat belge dans la déportation des Juifs de Belgique



Comment la Belgique assume t elle son passé?



Les conclusions du rapport final, en 2007, du Centre d'Etude et de documentation Guerres et Société contemporaine (CEGES) sont édifiantes : « L'Etat belge a adopté une attitude docile en accordant, dans des domaines très divers mais cruciaux, une collaboration indigne d'une démocratie à une politique désastreuse pour la population juive ».



Et pourtant à ce jour, l’Etat belge n’a tiré aucune conséquence du rapport du CEGES. Les propos successifs et graduels de l’ancien Premier ministre Guy Verhofstadt sur la « trop nombreuse collaboration de l’administration » prononcés en 2002 à Malines, en 2005 à Jérusalem (Yad Vashem) et enfin, en 2007 à Bruxelles, sur la responsabilité des autorités belges de l’époque n’ont pas liquidé le contentieux historique entre les Juifs de Belgique de 1940-1945 et l’Etat belge d’aujourd’hui.



De toutes ces déclarations, il ressort que la collaboration pour l’ancien Premier ministre est le fruit de l’activité des officines collaborationnistes et jamais à aucun moment la Belgique institutionnelle n’a été impliquée dans l’engrenage génocidaire des Nazis. Cette attitude tranche avec celle de la France quand, le 16 juillet 1995, lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942, Jacques Chirac va marquer un tournant dans les consciences.
Il reconnaît « la responsabilité de l’Etat français, mais également des Français, dans cet évènement tragique et contraire aux préceptes républicains ».



A ce jour en Belgique, seuls les Bourgmestres Philippe Moureaux (Molenbeek), Patrick Janssens (Anvers) et Willy Demeyer (Liège) ont eu le courage de présenter les excuses de leur ville à la communauté juive, condamnant le zèle de leur administration qui ont géré, au nom de l’occupant, la mise en œuvre de la « solution finale » en Belgique – à l’exception, bien sûr, de la dernière étape, le meurtre de masse.



Cette déclaration se fera-t-elle un jour ? Compte tenu de la situation politique actuelle, cette question n’est plus à l’ordre du jour. Le sera-t-elle jamais ?
On peut en douter.



Photo : D.R.