Seulement voilà : non seulement cette action bouscule des rentes de situation en réduisant l'influence du Fatah, le principal parti de l'Autorité palestinienne, mais le succès de M. Fayyad - salué par la communauté internationale - commence à faire de l'ombre au "chairman", M. Abbas. S'il ne s'agit pas d'une crise ouverte entre les deux hommes, leurs divergences sont désormais publiques. M. Abbas a choisi de les accentuer avec une sèche mise au point, le 26 avril, sur une question d'importance : la déclaration d'un Etat palestinien en août 2011 n'est pas à l'ordre du jour. "Nous ne prendrons pas de mesures unilatérales", a-t-il assuré. Le propos a été interprété comme une rebuffade pour M. Fayyad, qui, dans un entretien au quotidien israélien Haaretz, le 2 avril, s'est placé dans cette perspective.
Trois dangers pour M. Abbas
Le premier ministre, qui avait annoncé, en août 2009, un plan pour établir un Etat palestinien dans un délai de deux ans, a expliqué que si "d'ici à août 2011" ce plan n'a pas vu le jour (en cas d'échec des négociations avec les Israéliens), les progrès accomplis sur le terrain permettront de "forcer le processus politique pour produire ce résultat". Il avait ajouté : "L'année prochaine, la naissance d'un Etat palestinien sera célébrée comme un jour de joie par toute la communauté des nations."
M. Abbas, qui s'est investi dans le processus de négociations avec les Israéliens, au risque d'y perdre une partie de son prestige, voit trois dangers.
D'une part, un tel résultat risquerait d'être porté au crédit de celui que le président israélien Shimon Pérès n'a pas hésité à qualifier de "Ben Gourion palestinien" ; d'autre part, envisager la déclaration unilatérale d'un Etat (qui pourrait être reconnu par les Nations unies) revient à contredire le principe des négociations avec Israël. Enfin, cette démarche ferait le jeu des autorités israéliennes puisque, dans les conditions actuelles, un tel Etat serait réduit à la portion congrue : les Palestiniens ne contrôlent pas plus de 40 % de la Cisjordanie, et pas du tout Jérusalem-Est. Or l'action de M. Fayyad se heurte de plus en plus à l'hostilité d'une partie des cadres du Fatah, qui contestent la légitimité d'un premier ministre indépendant.
Le Conseil révolutionnaire du Fatah a adopté, le 24 avril, une résolution pour revendiquer trois ministères importants - finances, affaires étrangères, affaires sociales et éducation - de l'Autorité palestinienne. M. Abbas s'est déclaré d'accord sur le principe d'un remaniement ministériel (le Fatah ne contrôle que 11 des 21 ministères), mais il paraît exclu que M. Fayyad abandonne le portefeuille des finances, dont il a la charge.
Les deux hommes savent parfaitement que le soutien, notamment financier, de la communauté internationale à l'Autorité palestinienne est lié à la réputation d'intégrité de M. Fayyad, et à sa détermination à lutter contre la corruption souvent associée au Fatah. Soucieux d'apaiser la situation, M. Fayyad a expliqué qu'il n'a jamais eu l'intention de déclarer unilatéralement un Etat palestinien, et que son rôle se borne à créer les conditions qui permettraient d'envisager un tel scénario. Cette mise au point faite, l'"attelage politique" entre Mahmoud Abbas et Salam Fayyad devrait perdurer. Pour le moment.
(article publié dans le Monde du 6 mai 2010)
Photo : D.R.