« … j’ai été emmené dans une voiture pour retourner en prison. Pendant qu’on y attendait, un gendarme m’a dit « tu n’es pas libre ». A ce moment-là, je me suis demandé dans quelle sorte de pays je me trouvais… Et un désespoir immense m’a envahi, j’ai eu peur. Je me suis demandé : s’ils réagissent de cette façon-là lors d’un procès où l’opinion publique s’est tant mobilisée, quel sera l’avenir des enfants que j’ai pu voir en prison... Moi, j’ai été torturé. J’ai connu l’Etat qui dit « moi je suis l’Etat, je fais ce que je veux » et je me suis déconnecté de cet Etat, pour ne plus jamais me réconcilier avec lui… C’est par les gardiens de prison que j’ai découvert que j’étais libéré, à mon retour en prison. Je leur ai demandé de ne pas plaisanter, mais ils ont confirmé ma libération. Il n’y avait plus rien à dire. Je voulais m’en réjouir mais je n’ai pas pu. J’étais tellement fatigué, tout ce que je ressentais, c’était un sentiment de « laissez-moi tranquille, je ne demande rien d’autre »… Après la mort de mon père, j’ai préféré le silence car ils m’ont fait sentir que ce que je pouvais dire n’avait aucune importance. C'est-à-dire, je n’avais rien à dire en vérité… Vous m’avez torturé, vous m’avez exilé et ensuite vous m’avez empêché de voir mon père… »
Photo (Dogan Akhanli) : D.R.