Pour Fahrad Khosrokhavar, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, cette réforme, qui figure parmi les priorités du gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad, est une manière, pour le pouvoir, «d’affirmer sa légitimité anti-occidentale. Il veut donner des garanties aux grands ayatollahs de Qom. Mais c’est de la poudre aux yeux.»
La réforme, intitulée «Programme pour l’évolution fondamentale en éducation et en formation», prévoit de confier à des professeurs secondés par des religieux et des bassidjis, les milices volontaires de la République islamique, la tâche de «guider» les étudiants, de les inciter à lire le Coran et à apprendre les fondements de l’analyse politique. Les élèves du niveau primaire trouveront dès septembre de nouveaux manuels exhortant les filles se marier jeunes. Cela permet, selon le régime, d’éviter les problèmes sociaux que provoqueraient les mariages tardifs.
Face à cette réforme, Mehdi Khalaji est inquiet, d’autant que le niveau des universités iraniennes «a baissé par rapport à 1995». Il craint que l’idéologie islamique ne détruise le système éducationnel. Mohammad-Reza Djalili, spécialiste de l’histoire iranienne et professeur émérite de l’Institut de hautes études internationales, est moins alarmiste: «C’est la troisième fois que le pouvoir iranien procède à une telle offensive. Dans l’élan de la Révolution de 1979, il avait fermé pendant trois ans les universités pour les purger des éléments libéraux. En 2005, quand Mahmoud Ahmadinejad a accédé à la présidence, de nombreux professeurs ont été licenciés. Aujourd’hui, c’est une nouvelle offensive après les événements de 2009. Si les autorités iraniennes veulent réislamiser le système, c’est la preuve de l’échec de la République islamique, fondée il y a bientôt 32 ans.» Fahrad Khosrokhavar est aussi convaincu que Téhéran peut empêcher les Iraniens de manifester en masse contre le régime, «mais il ne peut pas enfermer leur façon de penser dans un carcan».
Sur le fond, ajoute le professeur Djalili, vouloir éradiquer toute influence occidentale est une aberration historique. La société iranienne est très occidentalisée et est même plus sécularisée que sous le shah. Elle est connectée à Internet, BBC en persan ou d’autres chaînes satellitaires. Depuis le XVIe siècle, l’Iran a entretenu une relation continue avec l’Occident. Le nom même de République (islamique) et l’existence d’une Constitution sont un héritage occidental.
Le contexte politique actuel n’est pas étranger à cette volonté de rupture. Depuis que les réformateurs ont été mis sur la touche après le mouvement vert, les divisions se sont transposées et intensifiées au sein du camp conservateur. En guerre avec une bonne partie de ces mêmes conservateurs, dont les frères Larijani, le président Mahmoud Ahmadinejad est apparemment en délicatesse avec le Guide suprême. Pour s’affirmer, il vient de licencier 14 conseillers, «de la pure propagande, précise Mehdi Khalaji. Car la plupart n’avaient aucune véritable fonction». Plus tôt, il a limogé d’urgence son ministre des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki avant d’affirmer que la politique extérieure iranienne n’allait pas changer. L’autocratisation du régime s’accentue aussi par une récente marginalisation du Majlis, le parlement iranien. «La survie d’Ahmadinejad, conclut Fahrad Khosrokhavar, dépend du Guide, mais ce dernier est aussi devenu l’otage du président. Ali Khamenei n’a actuellement pas d’alternative pour le remplacer.»
Article publié au journal suisse Le Temps, mercredi 5 janvier 2011.
Photo : D.R.