Dans quelles circonstances avez-vous découvert ce document ?
Il a été déposé, il y a quelques jours, au Mémorial de la Shoah, à Paris, par un donateur qui tient à rester anonyme. Compte tenu de mon intérêt très ancien pour l'histoire du statut des juifs, à propos duquel j'ai organisé le premier colloque scientifique, en 1990 au Sénat, j'ai été sollicité pour en évaluer l'intérêt et l'authenticité.
Justement, quel est selon vous l'intérêt de ce document ?
Les annotations de Pétain vont toutes dans le sens de l'aggravation. Contrairement à ce que prévoyait le projet dans sa version initiale, l'accès aux professions juridiques et enseignantes est totalement fermé aux juifs. Ceux-ci, en outre, ne peuvent pas être membres d'"assemblées élues". Par ailleurs, alors que le projet prévoyait d'épargner "les descendants de juifs nés français ou naturalisés avant 1860", on voit que Pétain a rayé cette mention.
En quoi s'agit-il d'une découverte ?
On savait par Paul Baudouin, l'ancien ministre des affaires étrangères de Vichy, que Pétain, au conseil des ministres du 1er octobre 1940, s'était montré très sévère à l'égard des juifs. On a maintenant la preuve qu'il est intervenu pour étendre le champ des interdictions et restreindre les possibilités d'exemption. C'est une confirmation de l'antisémitisme de Pétain, du fait qu'il n'a pas essayé, contrairement à ce que disent certains, d'épargner les juifs, et du fait enfin qu'il n'a pas hésité à s'aligner sur l'idéologie raciale nazie dans le but d'obtenir pour la France une forme de souveraineté. Enfin, la précision des annotations rappelle que Pétain n'était pas un vieillard sénile, mais qu'il était au contraire en pleine possession de ses moyens.
Etes-vous sûr de l'authenticité du document ?
Oui, les circonstances de sa découverte ne doivent pas jeter un doute sur son authenticité. On fera expertiser par un graphologue, s'il le faut, mais on reconnaît très bien l'écriture de Pétain – et nous avons bien sûr comparé avec d'autres documents rédigés par lui à l'époque avant de rendre public le document.
Propos recueillis par Thomas Wieder pour le Monde du 5 octobre 2010
Photo : D.R.