Le diplomate américain a été choisi pendant près d’un demi-siècle par le camp démocrate pour faire face aux défis de la politique étrangère américaine. Pour la newsletter du CRIF, un autre géant de l’histoire, Samuel Pisar, rend hommage à un parcours exemplaire du rôle des Etats-Unis dans le monde.
Richard Holbrooke est d’abord un enfant de réfugiés juifs, son père d’origine polonaise et sa mère allemande avaient quitté l’Europe de l’avant-guerre pour échapper à la progression du nazisme. Ces parents vont d’abord à Buenos Aires, puis à New York. C’est là que Richard Holbrooke naîtra le 24 avril 1941. Il perdra son père jeune, alors qu’il n’avait seulement que 15 ans, et développera sa personnalité hors du commun. « Une personnalité forte, difficile », mais qui se révèlera parfaite pour les dossiers lourds. En politique étrangère, Richard Holbrooke devint un « trouble-shooter », un homme capable de remettre de l’ordre dans les situations conflictuelles complexes.
C’est sous la présidence de John F. Kennedy que Samuel Pisar, alors conseiller économique, rencontre le jeune Richard Holbrooke. Il commence à illustrer ses talents pendant les négociations portant sur la guerre du Viêt Nam qui ont lieu à Paris. Lorsqu’il prend ensuite la direction des Peace Corps au Maroc, Richard Holbrooke révèle son sens de la direction : «Holbrooke a longtemps voulu être journaliste, mais il embrassa la carrière diplomatique », explique Pisar. « Avec les Peace Corps, là où il aurait pu se montrer aventurier : il a su, au contraire, démontrer sa détermination à accomplir les missions précises qui étaient les siennes ».
« Holbrooke a sauvé beaucoup de vie», explique Samuel Pisar. En 1995, il est l’architecte des négociations de paix pour la Bosnie-Herzégovine et obtient, à Dayton, la trêve entre les factions. En face de lui, il doit notamment convaincre le criminel de guerre Slobodan Milosevic, alors président de la République fédérale de Yougoslavie. Holbrooke dira plus tard qu’il ne craint pas de parler avec des criminels, tant que cela peut sauver des vies. Fils de réfugié du nazisme, il avait de l’énergie pour être davantage qu’un grand commis d’Etat : cet homme stoppa un génocide. Beaucoup de gens ont ressenti qu’il aurait mérité le prix Nobel de la paix. Homme d’action avant d’être politologue, Holbrooke avait l’audace nécessaire pour convaincre les stratèges militaires de son camp, autant que les dirigeants ennemis, et il arrivait presque toujours à ses fins ou à son objectif. A Dayton (Ohio), il amena toutes les parties prenantes à la trêve puis à arrêter le conflit qui a enflammé les Balkans : « To end a War », comme il le décrira plus tard avec force dans son essai-témoignage.
Alors qu’il était assistant du Secrétaire d’Etat pour l’Asie et le Pacifique entre 1977 et 1981, Holbrooke fut l’artisan de la normalisation des relations entre les Etats-Unis et la Chine. Assistant du Secrétaire pour l’Europe après la Chute du Mur, il a aidé à l’intégration de l’Allemagne au sein de l’OTAN. Et également, alors qu’il était ambassadeur des Etats-Unis aux Nations Unies - un poste qui a la valeur d’un portefeuille ministériel - il permit à Israël, écarté jusqu’alors de tous les groupes géographiques, d’avoir une place dans le groupe Ouest-européen à titre temporaire.
Depuis 2009, Richard Holbrooke était l’envoyé spécial d’Obama pour l’Afghanistan et le Pakistan, l’Afghanistan où se déroule encore la guerre la plus longue à laquelle les Etats-Unis n’ont jamais fait face. Il semblait nous dire, redire, lui qui avait connu le Vietnam, et le carnage bosniaque que l’intervention américaine n’est pas une œuvre de puissance, mais de conviction et parfois de nécessité humanitaire.
Dans le privé, Richard Holbrooke se montrait un homme chaleureux avec ses amis et il savait prendre de son temps pour faire avancer les jeunes des deux côtés de l’Atlantique. Francophile et francophone, il fut par exemple un des mentors de Leah Pisar et de son demi-frère Antony Blinken, aujourd’hui un des plus proches collaborateurs du président Barack Obama et du vice-président Joe Biden. Son ascension au poste de secrétaire d’Etat était pour la plupart des observateurs américains et européens seulement une question de temps. Malheureusement, son destin ne lui a pas laissé ce temps. Il connaissait la maladie qu’il avait au cœur, mais a 69 ans, ne voulait pas se protéger au détriment de la mission d’envergure que lui avait donnée une nouvelle fois son président. Jusqu’au bout, le fils des réfugiés de l’Europe qui avaient étaient accueilli par les Etats-Unis se sera dédié, avec force et foi, à la politique étrangère de son pays et à la paix.
Entretien avec Samuel Pisar.
Eve Gani
Références :
Léah Pisar, Orage sur l’Atlantique, Fayard, 2010
Yehuda Lancry, Le Message Meurtri, Albin Michel, 2010
Richard Holbrooke, To End a War, 1999
Photo (Richard Holbrooke, Joe Biden, Samuel Pisar et Leah Pisar): D.R.