Les actes antisémites ont baissé en 2010. Êtes-vous moins inquiet?
La situation reste tendue. Nous avons encore répertorié 466 actes en 2010. Les auteurs sont plus jeunes et plus violents que par le passé. Le phénomène s'est ancré dans certaines banlieues ces dix dernières années. La répression est nécessaire mais elle ne suffit pas. Il n'existe qu'un seul rempart contre l'antisémitisme: la République, qui fait partager ses valeurs à toutes les convictions religieuses. Mais ce modèle est menacé. Par le relativisme, qui affaiblit ses défenses, et par l'islamisme, qui veut placer la charia au-dessus de la loi de la République. La communauté juive reste attachée à son identité, mais au sein de la République, laïque, où la religion intervient dans la sphère privée.
À un an de la présidentielle, le CRIF s'est-il positionné sur l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN ?
Nous lutterons contre l'extrême droite comme par le passé; je ne vois pas de différence entre la fille et le père, si ce n'est l'apparence. Elle a l'habilité d'être moins provocatrice. Mais je connais le passé des membres de son entourage. Leurs méthodes reposent sur la dénonciation et la stigmatisation d'une population. Ce ne sont peut-être plus les Juifs, mais cela ne saurait me satisfaire. C'est une chose de s'opposer aux radicalismes, à l'islamisme qui progresse en Europe. Une autre de rejeter l'islam et de jeter le soupçon sur tous les musulmans. Le CRIF prône à l'inverse le dialogue, la tolérance.
Que dites-vous à ceux qui comme Stéphane Hessel prônent le boycott d'Israël?
Le boycott est illégal, même prôné par Stéphane Hessel! Nous avons alerté l'École normale supérieure de la tenue d'une réunion de propagande en faveur d'une action illégale. Nous n'avons pas demandé son interdiction. Notre rôle est d'alerter. Dans les universités, certains tentent de monter des conférences pro-boycott régulièrement. Nous réclamons un débat réel, contradictoire. Globalement, les universités françaises ont d'ailleurs mieux résisté à la propagande qu'ailleurs en Europe.
Les interventions du CRIF semblent parfois mal perçues. Faudrait-il changer de stratégie?
On a le droit de critiquer Israël, pas de le délégitimer. Ce n'est plus la liberté d'expression mais bien de la stigmatisation. Ces militants ne rappellent jamais que le Hamas entend détruire Israël. Ils ne livrent qu'une accusation partiale et espèrent in fine obtenir la condamnation juridique de l'État d'Israël. Ces attaques provoquent un malaise profond dans la communauté juive. Le sentiment d'une véritable injustice. Le Crif est dans son rôle lorsqu'il alerte les autorités et sensibilise l'opinion. Par ailleurs, le boycott est aussi immoral qu'imbécile: il touchera aussi les producteurs palestiniens.
Que vous inspirent les révolutions au Moyen-Orient?
Nous saluons ces mouvements démocratiques, les premiers dans le monde arabe. Mais nous restons prudents. Car nous redoutons qu'ils soient récupérés par des organisations islamistes. Pour l'instant, nous observons.
Article publié dans le Figaro du 9 février 2011
Photo : © 2011 Erez Lichtfeld