Ces actes sont-ils le fait de personnes isolées, de groupuscules d’extrême droite ? Reflètent-ils des conflits intercommunautaires ? « Il y a une tradition d’entente ici et l’effervescence actuelle est artificiellement créée à partir d’un climat politique au niveau français et européen », analyse le maire (PS) de Strasbourg, Roland Ries, qui a lancé lundi un « Appel à tous les Républicains de Strasbourg et de son agglomération » à dire « ça suffit ».
« Une porosité aux idées d’extrême droite »
Saïd Aalla, président de la Grande Mosquée de Strasbourg, attend de la justice qu’elle fasse son travail mais, pour lui, le contexte alsacien « n’est pas intolérant ». Il reconnaît que l’extrême droite est susceptible d’agiter des pensées islamophobes, mais pense qu’elle n’est représentée que par des « groupes minuscules ». Ses scores ont en effet beaucoup chuté aux dernières élections.
Ce qu’il craint surtout, c’est que le dernier épisode – un homme se filmant en train de brûler le Coran – « n’attise le sentiment religieux des musulmans du monde comme ce fut le cas pour les caricatures de Mahomet, alors que c’est certes grave, mais surtout l’acte idiot d’un homme en manque de notoriété ».
D’autres estiment au contraire que le contexte alsacien est propice. « Il y a ici une porosité plus marquée qu’ailleurs aux idées d’extrême droite », héritage de la nazification de la région au temps de l’occupation allemande de 1940 à 1945, note le politologue Richard Kleinschmager.
Une région et deux partis d'extrême droite
Une thèse est depuis longtemps avancée par les sociologues : voulant réintégrer rapidement l’Alsace, la France n’aurait pas mené ici le travail de dénazification fait en Allemagne et certaines idées seraient restées ancrées dans les esprits. « Sur le ton de la plaisanterie, des choses inadmissibles sont peut-être plus facilement dites ici », ajoute-t-il.
Il rappelle aussi que l’Alsace a l’originalité d’avoir, à côté du Front national, un autre parti d’extrême droite, régionaliste, Alsace d’Abord, aux scores non négligeables. Pour Ali Rastegar, porte-parole du collectif Justice et Libertés, il ne fait aucun doute que « l’Alsace peine à faire face à son passé antisémite » et que les récents actes de xénophobie émanent de « nazillons » qui pourraient se sentir encouragés par certains discours prononcés récemment par le chef de l’État.
De fortes communautés religieuses
« On développe à l’heure actuelle de façon générale, dans la société et dans la présidence françaises, un tel climat de dénonciation de l’étranger comme responsable de ce qui va mal qu’on libère et qu’on légitime des pulsions de haine qui peuvent venir d’obédiences très diverses, de l’extrême droite ou de groupes d’islamistes, appuie Freddy Raphaël, sociologue et historien de l’Alsace. Pourtant, il serait trop facile de mettre cela sur le compte du passé, c’est dans l’actualité qu’il faut comprendre cette démarche de haine. »
La seule spécificité de l’Alsace, ajoute-t-il, est d’avoir des communautés religieuses beaucoup plus fortes qu’ailleurs, ce qui certes nourrit un dialogue fécond, mais provoque aussi parfois une « exacerbation de la détestation de l’autre ».
Il invite, enfin, à la plus grande prudence dans l’interprétation des derniers événements. « Nous manquons d’éléments. Dans l’affaire des profanations de Carpentras, en 1990, on s’était trompé en fonçant vers le Front national. C’est souvent plus complexe », indique-t-il.
(1) L’Alsace avait connu une série noire de profanations en 2004.
Article d’Élise Descamps, publié dans la Croix du 7 octobre 2010
Photo : D.R.