Le Figaro.- Vous avez quitté votre vie confortable d'homme d'affaires reconnu en Europe pour vous lancer dans un combat politique à haut risque. Pourquoi ?
Amir Jahanchahi. - Il y a des moments, dans la vie de chaque individu, où les circonstances doivent guider notre chemin. Ahmadinejad ne représente pas seulement la négation de toute liberté pour mon peuple ; il emmène aussi mon pays vers une guerre régionale aux conséquences planétaires. Nous sommes à un de ces moments de l'Histoire où l'individu doit oublier son confort personnel et se concentrer sur son devoir. J'ai annoncé, le 19 mars, que j'assumerai ma responsabilité de mener le peuple iranien à la liberté. Je n'abandonnerai ce combat que le jour de notre victoire contre le totalitarisme islamique.
Vous avez dit qu'il était grand temps, pour les Iraniens, de renverser la dictature en place par la force. Comment comptez-vous vous y prendre ?
Certains Iraniens ont prôné dans le passé une stratégie de désobéissance civile contre le régime qui oppresse mon pays. À tous ces gens-là, je réponds en deux temps : premièrement, nous n'avons pas chez nous de Gandhi ; deuxièmement, la dictature d'Ahmadinejad n'a rien des faiblesses de l'Empire britannique de l'époque. De quel droit pourrais-je demander aux Iraniens, qui subissent tous les jours les arrestations et les exécutions arbitraires, les viols dans les prisons, les meurtres perpétrés dans la rue, de ne pas réagir, de se borner à attendre que le régime tombe comme un fruit mûr ? Le devoir d'un responsable politique est de dire la vérité à son peuple. Cette révolution, en marche depuis le 12 juin 2009, ne sera pas une «révolution de velours». Le chemin à parcourir sera long ; il nécessitera des sacrifices majeurs. Mais nous aurons la victoire car nous gagnerons l'établissement de nos droits - soit un État de droit - par la force. C'est quoi la force ? Dans notre combat pour la liberté, nous répondrons au régime avec les mêmes moyens qu'il aura utilisés contre nous.
Pensez-vous qu'un retournement du corps des pasdarans en votre faveur est possible ?
Depuis mon appel du 19 mars, nous avons été contactés par des personnalités à la périphérie du régime et à l'intérieur du régime, au plus haut niveau. Très nombreux sont ceux qui pensent, comme moi, qu'Ahmadinejad mène le pays à la catastrophe. Je veux parler de la guerre, dans une échéance de moins de dix-huit mois. Les dignitaires du régime se divisent aujourd'hui en deux catégories : ceux qui suivent le jusqu'au-boutisme d'Ahmadinejad et qui contrôlent, de fait, le corps des gardiens de la Révolution ; et ceux, majoritaires, qui sont mûrs pour, le moment venu, basculer dans le camp du peuple iranien, quand nous nous serons imposés comme la force d'alternance crédible et légitime.
Comment s'organisera le renversement du régime ?
Nous sommes en train de structurer le mécontentement populaire en cellules de résistance clandestines. Rien ne sert de demander aux trois millions de personnes qui ont protesté il y a un an contre le coup d'État d'Ahmadinejad de ressortir dans la rue. Ce noyau reviendra à l'avant-scène lorsque nous aurons réuni les conditions adéquates pour déclencher de vastes mouvements de grève, lesquels nécessiteront une préparation minutieuse et des moyens financiers considérables.
Et pour après, quel est votre plan ?
Je présenterai prochainement la structure qui sera chargée de la nomination et du contrôle du futur gouvernement provisoire, après la chute du régime. J'annoncerai aussi la feuille de route de ce gouvernement, avec les réformes qu'il devra mener et la rédaction d'une nouvelle Constitution. Les cinq principales réformes seront : la nouvelle politique régionale et étrangère de l'Iran ; la transformation de l'appareil d'État incluant la fusion de l'armée avec le corps des gardiens de la Révolution ; la constitution d'un véritable appareil judiciaire ; la réforme des structures économiques de production et d'échange ; la réforme des droits des régions et des minorités ethniques et religieuses.
Votre nouvelle Constitution séparera-t-elle le politique du religieux ?
Le premier article de notre nouvelle Constitution instituera la séparation de la politique et de la religion. Mais, avant l'entrée en vigueur de ce texte, qui interviendra à la fin du mandat du gouvernement provisoire et après référendum, cette séparation existera dans tous les actes du gouvernement de transition.
Quelle nouvelle politique étrangère comptez-vous mettre en place ?
L'Iran est au centre d'une région - qui va du Pakistan à Israël - où la moitié de la population vit plus ou moins dans un état de guerre. C'est la seule région au monde dans cet état. L'Iran, avec ses treize différentes frontières, terrestres et maritimes, sera à l'origine de la guerre ou de la paix dans la région. La clé de tous les problèmes de la région se trouve dans mon pays. Le premier acte international du gouvernement provisoire sera la reconnaissance de l'État d'Israël. En même temps, nous nous engagerons à l'établissement d'un État palestinien viable, à côté d'un État israélien à la sécurité garantie. Nous réglerons le conflit israélo-palestinien. Dans le cadre de notre politique régionale de paix, nous couperons dès le premier jour les vivres aux talibans, à al-Qaida, au Hamas. Quant au Hezbollah, nous lui dirons, ou bien vous renoncez à votre milice et vous vous cantonnez à votre rôle de parti politique libanais, ou bien nous vous classons dans la même catégorie que les mouvements terroristes précités.
Que ferez-vous du programme nucléaire militaire iranien ?
La bombe atomique d'Ahmadinejad représente un danger réel pour nos voisins arabes, pour l'existence de l'État d'Israël et pour la stabilité de la planète. Il n'est pas question de permettre à Ahmadinejad d'accéder à l'arme nucléaire. Après l'avènement de l'Iran démocratique, notre gouvernement fera tout pour empêcher la prolifération nucléaire dans la région.
En politique intérieure, comment ferez-vous pour éviter l'éclatement d'un pays qui n'est constitué qu'à 51 % de Perses ?
Je n'accepterai jamais qu'on y raisonne en termes d'ethnies. Nous sommes tous des Iraniens. L'axe de développement qu'a privilégié le régime est un axe nord-sud entre Téhéran et le pétrole. Des pans entiers de notre territoire ont été laissés à l'abandon et leurs populations y vivent dans des conditions inacceptables. Le rétablissement des droits bafoués des régions et des minorités est une ardente nécessité dans un Iran moderne et démocratique.
Quel rôle comptez-vous jouer en Iran, après la chute du régime appelée de vos vœux ?
Ma seule ambition est de mener mon peuple à la victoire contre la tyrannie actuelle, de l'amener aux portes de la liberté. Quant à mon rôle futur, je ne participerai pas au gouvernement provisoire, et je ne serai candidat ni à la présidence de la République, ni à aucun autre poste électif.
(article publié dans le Figaro du 14 juin 2010)
Photo : D.R.