Le Figaro : Quel jugement portez-vous sur la politique du gouvernement Netanyahu à l'égard des Palestiniens ?
Shaul Mofaz : Ce gouvernement a commis d'énormes erreurs depuis un an. En particulier, après que Netanyahu a annoncé sa « vision » d'une solution à deux Etats, nous n'avons vu aucun plan pour la mettre en pratique. J'approuve cette vision, mais II ne suffit pas de dire qu'on y est favorable. Or il y a aujourd'hui une fenêtre d'opportunité : c'est la première fois que toutes les parties, en Israël, du côté palestinien, aux Etats-Unis comme en Europe, sont d'accord sur l'objectif.
Etes-vous sur que les dirigeants israéliens actuels soient en faveur de deux Etats ?
Je ne peux pas vous affirmer à 100 % que c'est vraiment leur rêvé et leur objectif. Ce que je peux dire, c'est que pour la première fois un gouvernement de droite en Israël s'est dit en faveur d'un Etat palestinien.
Tout est-il négociable ou fixez-vous des lignes rouges a ne pas franchir ?
Il existe deux lignes rouges sur lesquelles tout le monde est d'accord en Israël : pas de retour des refugies palestiniens de 1948 en Israël, et pas de retour aux frontières de 1967. 54% de la population juive de Jérusalem vit dans les quartiers construits depuis 1967 : ils font partie intégrante de Jérusalem et n’ont pas à figurer dans la négociation.
Vous approuvez donc la décision de Benyamin Netanyahou de poursuivre les constructions a Jérusalem-Est, malgré les pressions américaines ?
Oui. Ces quartiers ne sont pas des colonies. La Knesset a placé les limites municipales de Jérusalem sous souveraineté israélienne en 1988. En 2001, elle a voté une loi mandatant le gouvernement d'y poursuivre les constructions. Tous les premiers ministres l'ont fait, de Rabin à Peres, Barak, Sharon et Olmert. La faute du gouvernement Netanyahou a été de publier une annonce à ce sujet pendant la visite du vice-président américain Joe Biden.
La crise de confiance avec les Etats-Unis vous inquiète-t-elle ?
Cette crise procède de l'absence de plan israélien pour reprendre l'initiative sur le processus de paix. Nous avons toujours eu confiance dans les présidents américains et c'est le cas avec Barack Obama. Le soutien des Etats-Unis à Israël et à sa sécurité va continuer. Nos deux pays partagent les mêmes buts et les mêmes valeurs.
La « barrière de sécurité » qui entoure la Cisjordanie est-elle là pour rester indéfiniment ?
Tant que le conflit dure, tant que l'appareil de sécurité palestinien ne contrôle pas la sécurité dans les Territoires, cette barrière protège Israël des attaques terroristes. Je vous rappelle que, malgré la paix signée avec l'Egypte et la Jordanie, des fortifications existent toujours sur nos frontières avec ces pays.
A la lumière des récents incidents à Jérusalem, redoutez-vous tine troisième intifada ?
Je ne vois pas la volonté chez les Palestiniens de déclencher un nouveau conflit. Ils enregistrent de nombreux succès sur le plan diplomatique, ils gagnent en influence à la faveur des erreurs du gouvernement Netanyahou. C'est pourquoi un plan d'action urgent devrait être mis sur la table par Israël. Au lieu de mener le jeu, nous sommes pousses par l'autre camp. Israël doit reprendre l'initiative.
Vous êtes né à Téhéran : quelle attitude préconisez-vous sur le dossier du nucléaire iranien ?
La stratégie iranienne consiste à gagner du temps et ca marche. Le régime est désormais très près d'avoir la bombe. Avec les stocks d'uranium qu'ils ont accumules, les Iraniens pourraient prendre la décision stratégique de fabriquer une bombe demain. C'est la dernière fenêtre d'opportunité pour que des sanctions internationales soient efficaces. Les semaines à venir seront cruciales.
Des frappes aériennes menées par Israël sont-elles envisageables ?
Ce n'est pas quelque chose dont on peut parler. Toutes les options doivent rester sur la table. Mais il faut savoir qu'en dehors des sanctions, les autres options conduiraient a une escalade dans la région. L'Iran a entouré Israël de bases tenues par ses alliés du Hezbollah et du Hamas. Ces relais se préparent pour l’étape suivante. L'Iran ne constitue pas seulement une menace existentielle pour Israël, mais pour le monde entier.
De vives tensions opposent depuis quelque temps Israël a la Turquie, longtemps son principal allié dans le monde musulman : comment l'expliquez-vous ?
Il m'est très difficile de comprendre pourquoi (le premier ministre) Erdogan parle d'Israël comme il le fait. Il a tort et nous ne pouvons pas l'accepter. Le principal objectif d'Israël est de faire la paix avec ses voisins. Nous avons avec Ankara des intérêts mutuels et il est important de les sauvegarder.
Entretien publié dans le Figaro du 12 avril 2010.
Photo : D.R.