Touteleurope.fr : Un an après les élections iraniennes, l'opposition au régime iranien réussit-elle à tenir malgré la répression ?
Michel Taubmann : Il est peu probable qu'on assiste à de grandes manifestations aujourd'hui en Iran. Cela pour deux raisons. D'abord, une première raison est la répression très forte qui a entrainé 5.000 arrestations environ en un an, des tortures en prison, des gens exécutés. De plus, le régime quadrille le pays, qui est en état de siège. Il y a non seulement les Gardiens de la Révolution, les Bassidjis, mais il y a aussi des milices improvisées avec des gens démunis à qui on donne de l'argent pour maintenir l'ordre.
Il y a aussi une autre raison pour laquelle l'opposition ne manifeste plus aussi spectaculairement qu'il y a quelques mois encore et qui est inhérente à l'opposition elle-même. L'opposition interne au régime, ceux qui en sont issus comme Moussavi, Karoubi l'ancien président de l'assemblée du parlement iranien, Khatami l'ancien président de la République islamique, tous ces gens-là n'ont pas l'intention de rompre avec le régime, mais de le réformer. On a un décalage énorme avec ce à quoi aspire la population qui est une véritable rupture, un mode de vie à l'occidentale et donc la fin de la République islamique.
C'est vrai que, faute de vrais leaders, d'un vrai programme ou d'un vrai projet, les gens ne descendent pas dans la rue. C'est d'ailleurs une grande maturité des Iraniens : ce ne sont pas des masses qui descendent dans la rue pour se faire tuer sans réfléchir. Ces gens réfléchissent et n'envoient pas leurs enfants se faire tuer sans qu'il y ait une véritable perspective de changement.
L’Union européenne joue-t-elle un rôle pour aider à trouver une solution avec l'Iran ?
Je sais qu'il est plus facile d'être dans la position d'un observateur ou d'un journaliste ou d'un historien. Je suis quelqu’un à la fois qui fait un travail sur l'Iran mais qui est aussi engagé en faveur du peuple iranien.
Je trouve que l'Union européenne malheureusement n'en fait pas assez. Il y a une vraie polarisation et un durcissement du ton sur le dossier nucléaire qui est justifié et tout à fait légitime.
En revanche, on commence à poser à peine la question des droits de l'Homme vis-à-vis de la République islamique... mais c'est après avoir toléré durant des décennies et des décennies de la part de ce régime, les exécutions sommaires, les tortures et les viols dans les prisons. Et je trouve qu'on n’en demande pas assez.
Ce que je veux vous dire franchement, c'est qu'aujourd'hui, il faut non seulement faire pression sur le régime à propos de la question nucléaire mais il faut aussi insister sur la question des droits de l'Homme, qui sont le talon d'Achille du régime.
Le régime est engagé dans une véritable fuite pour essayer de provoquer un affrontement avec ses ennemis. Ses ennemis sont tout le monde : Israël, les Américains, les Européens, les pays arabes... Même aujourd'hui la Russie et la Chine qui viennent finalement de se rallier aux sanctions par le Conseil de sécurité après avoir longtemps soutenu l'Iran.
Il y a deux phénomènes parallèles qui sont une course à la démocratie du peuple iranien et une course à la guerre, ou en tous les cas une course à la crise internationale, menée par le régime. Le régime n'a pas d'autre issue pour se sauver que de déclencher un affrontement.
Alors est-ce que ce sera contre Israël directement ou un pays arabe ou contre des troupes américaines basées en Irak ? Ahmadinejad espère sauver son régime à travers une crise internationale, voire une guerre. Mais cette dernière peut être le tombeau de son régime car tous les régimes dictatoriaux qui ont déclenché des guerres, s'ils ont dans un premier temps suscité une union patriotique, ont fini par être balayés par le mouvement qu'ils ont déclenché.
Comment Mahmoud Ahmadinejad perçoit-il l'entité européenne ?
Pour lui, l'Union européenne n'est pas une préoccupation particulière car elle est un appendice de l'Occident qui, dans sa pensée, est l'ennemi.
L'Union européenne n'a pas de politique propre sur la question iranienne à la différence de la France ou de la Grande-Bretagne. Par rapport à l'Europe, il sait que tactiquement il peut diviser les Occidentaux, comme il l'a fait lors de sa récente interview sur TF1 où il utilise les mises-en-garde des Européens par rapport à Israël. Il a aussi fait à cette occasion l'apologie du gouvernement français alors qu'il y a quelques mois, il insultait Nicolas Sarkozy.
La société civile européenne se mobilise-t-elle pour soutenir le peuple iranien ?
Nous organisons un colloque dimanche 13 juin qui s'appelle le "dilemme iranien". En effet, il faut d'une part être très ferme sur la question nucléaire mais en même temps ne rien faire qui puisse aller dans le sens des provocations d'Ahmadinejad et avoir une crise internationale. Car le peuple iranien se sentirait agressé alors car son régime serait finalement la victime. La ficelle est énorme. Ahmadinejad cherche à ce que l'Iran soit victime d'un ennemi extérieur.
Il y a plein d'autres initiatives dans la société civile, mais l'essentiel se joue là-bas, ne nous racontons pas d'histoire. Les Iraniens n'attendent rien de nous, ils veulent se libérer par eux-mêmes.
En revanche, ce qu'ils souhaitent, c'est qu'on ne leur mette pas des bâtons dans les roues en Europe : qu'ici on ne les empêche pas de s'exprimer, qu'on les aide au niveau matériel pour qu'ils s'adressent par la télévision ou par Internet au peuple iranien.
Mais ils n'attendent pas de nous qu'on intervienne militairement ou qu'on envoie des armes. C'est non seulement stupide, mais, en plus, les opposants iraniens sont fiers et veulent se libérer par eux-mêmes.
Sur le plan symbolique, il est important quand même que se manifeste une solidarité de la société civile. Si les Iraniens là-bas savent qu'aujourd'hui en France on exige l'arrêt des exécutions... c'est d'ailleurs la principale chose qu'on puisse exiger : que le régime arrête d'exécuter ses opposants. Ce serait déjà un recul.
Photo : D.R.
Source : touteleurope.fr