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Publié le 20 Octobre 2010

Michel Remaud : l’humilité à l’honneur, par Catherine Dupeyron

Habitant Jérusalem depuis une trentaine d’années, Michel Remaud, prêtre catholique et Directeur de l’Institut chrétien d’études juives Albert Decourtray à Jérusalem, reçoit le prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne, mercredi 20 octobre à Paris. Ce prix, accordé alternativement à un chrétien et à un juif, lui sera remis dans la communauté juive Massorti du rabbin Rivon Krygier, une première pour l’AJC qui répond ainsi aux « intégristes » chrétiens qui avaient violemment manifesté contre la conférence de Carême donnée par ce rabbin à Notre-Dame de Paris en mars dernier à l’invitation du cardinal André Vingt-Trois. Un long entretien avec Michel Remaud sera publié, par ailleurs, cette semaine. Pour consulter le Dossier sur le Prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne 2010 : http://www.jerusalem-religions.net/....




Michel Remaud est heureux mais il est aussi un peu inquiet. Heureux de recevoir le prix de l’Amitié Judéo-chrétienne qui lui est décerné le 20 octobre à Paris et qui est, pour lui, non pas l’aboutissement d’une vie mais « un encouragement à continuer ». « Il y a encore beaucoup de choses qui n’ont pas été dites et qu’il faut écrire », précise-t-il. Sans compter que le public de ses conférences qu’il donne en France chaque année depuis une quinzaine d’années, s’est largement renouvelé et rajeuni au cours du temps ; une bonne raison de persévérer. « Il y a une soif de connaissance du judaïsme et d’approfondissement des liens entre l’Eglise et le peuple juif », souligne le prêtre.



Mais, il est un peu inquiet aussi car recevoir un prix cela veut dire être la vedette du moment. Ce qui n’est pas une mince affaire pour cet homme d’une profonde humilité. Ainsi, le père Remaud prend un soin extrême à ne pas s’attribuer des mérites qui, selon lui, reviennent à d’autres. Il est notamment exaspéré – un autre de ses traits de caractère qui affleure volontiers - par ceux qui pensent que l’Institut chrétien d’études juives à Jérusalem, baptisé aussi Institut Decourtray, ne repose que sur lui, alors qu’en réalité il est animé par « toute une équipe », indique-t-il. D’ailleurs, sur le site de l’Institut (http://www.institut-etudes-juives.n...) la mention du nom de son directeur est quasi-confidentielle ! Et Remaud de rappeler aussi que l’Institut n’est pas une création ex nihilo. « Ce sont les idées du fondateur Pierre Lenhardt (1) qui se prolongent ici », ajoute-t-il pour ne pas s’attribuer la paternité de cet Institut, qui pense-t-il, lui serait étrangère. Sans doute. Il reste que si cet Institut a survécu à bien des aléas juridiques et financiers c’est en grande partie grâce à la ténacité pour ne pas dire à l’obstination de Remaud, parmi d’autres.



Séminariste pendant les années du Concile



Dire que Michel Remaud n’aime pas parler de lui est un euphémisme ! A une première question sur son parcours personnel, son enfance, sa famille, ses études, il répond de manière succincte : « On m’a dit que je suis né le 28 sept 1940. Je suis né à la campagne dans une famille catholique. Que raconter de plus ? ». Mais finalement, il se dévoile un peu. Né en Vendée à Grosbreuil, il est le quatrième enfant d’une fratrie de cinq. Il entre en sixième au Petit séminaire des Fils de Marie Immaculée (FMI). Et puis après c’est un « cursus classique, un tapis roulant, on enchaînait le bac et les années de Grand séminaire ».



En 1963, il est envoyé au séminaire français de Rome dirigé par les Spiritains pour faire ses études de théologie pendant quatre ans. Il a la « chance » que ce séjour corresponde à peu près à la période du Concile Vatican II, qui avait commencé l’année précédente. Le jeune séminariste assiste à des séances publiques du Concile et à sa clôture en 1965. Et puis, pendant les sessions conciliaires, une cinquantaine d’évêques sont hébergés au séminaire où Michel et ses camarades résident. Une proximité très enrichissante. « On laissait traîner nos oreilles pour essayer d’attraper un peu de ce qu’ils se racontaient entre eux » dit-il en souriant. Et puis surtout, l’incontournable conférence spirituelle donnée avant le dîner, accueille tous les célébrités de l’époque. « Congar, Danielou, Roger Schutz, Karl Rahner, … je les ai tous entendus les uns après les autres. Et puis, j’ai assisté à la clôture du Concile, c’était très intéressant et très émouvant. On sentait bien que quelque chose basculait dans l’histoire de l’Eglise. »



Cependant, à l’époque, le jeune séminariste ne perçoit guère l’impact du Concile sur les relations judéo-chrétiennes. « Je ne l’ai découvert que plus tard », précise-t-il. Remaud ne réécrit pas l’histoire à la faveur de son prix. De la même manière, il décrit très honnêtement son éducation catholique. « Le catholicisme que j’ai avalé au catéchisme était très classique : c’était le juif qui avait tué Jésus », dit-il sans ambages. C’est donc l’adulte, déjà formé, déjà prêtre – il est ordonné en 1966 - ayant acquis une certaine maturité qui va découvrir l’évidence de la nécessité du dialogue judéo-chrétien.



La guerre de 1967 : un électrochoc



Les étapes qui le mènent à devenir l’un des artisans majeurs du dialogue Judéo-Chrétien sont constituées de rencontres avec des hommes, avec le texte biblique et avec l’histoire. A cet égard, la guerre de 1967 et donc la conquête de Jérusalem par les Israéliens provoquent, chez lui, un véritable électrochoc. « C’est l’amorce d’un processus qui se poursuit ensuite autrement », précise-t-il. Lors d’un premier entretien accordé il y a quelques années, Michel Remaud expliquait en détail l’impact que cette page d’histoire avait eu sur son existence. « C’est l’année où je finissais le séminaire. Il était 12h50 en ce jour de juin 1967, je disais l’office, et je me suis surpris à lire les psaumes de manière littérale, et non figurative, comme je le faisais depuis toujours. Le journal et les psaumes parlaient de la même histoire. En quelques secondes, la ‘machine à transposer’ que j’avais dans la tête est tombée en panne. Jérusalem, Israël, ainsi que le Jourdain et autres lieux bibliques n’étaient plus des figures typologiques mais des réalités vivantes. Cela m’a bouleversé. Israël devenait ainsi une réalité contemporaine et non plus une simple préfiguration de l’Eglise. J’ai alors pensé : si Dieu est fidèle à sa promesse à l’égard du peuple juif, c’est que l’Histoire n’est pas achevée. Nous, chrétiens, avons seriné le thème de l’aveuglement du peuple juif pendant des siècles, alors que nous étions nous-mêmes aveugles, nous qui n’avons pas su voir que la pérennité de ce peuple était le signe de la fidélité de Dieu. » (2)



Il s’écoulera douze années avant que Michel Remaud ne découvre Jérusalem et s’y installe d’abord de manière temporaire puis définitivement à partir de 1986. C’est dans les années 70, à Bordeaux où notamment il enseigne au Grand séminaire, qu’il commence à fréquenter assidûment « une communauté juive », années pendant lesquelles il participe à l’Amitié Judéo-Chrétienne locale. Une étape qui va le mener à devenir Correspondant du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme (1974-1994). A Jérusalem, en 1979, il rencontre Pierre Lenhardt à Ratisbonne, autre étape majeure de son aventure personnelle et spirituelle en Israël. De retour à Paris dans les années 80, il est nommé Délégué aux relations avec le judaïsme dans le diocèse de Paris (1982-1986). Puis c’est le grand saut ; il s’installe à Jérusalem et n’en repartira plus. Il vit aujourd’hui à Nahlaot, un quartier populaire près du Shouk de la ville moderne créé par des juifs kurdes à la fin du 19ème siècle. « Intégré dans le paysage », en l’occurrence un environnement juif populaire, il reste « incurablement chrétien ».



Un "marathon man"



S’il faisait de la course à pied, Michel Remaud gagnerait le marathon et non le 100 m. C’est un homme d’endurance, un homme des tâches longues et difficiles, du travail en profondeur. Ce n’est pas un-touche-à-tout qui brille et s’évapore aussitôt. Auteur de neuf ouvrages (3) et de nombreux articles, soucieux du mot juste, il n’en est pas moins humble face à ses lecteurs. « On met tout son cœur à écrire un livre, mais une fois publié il échappe complètement à l’auteur. Le lecteur n’assimile pas le contenu d’un livre comme l’eau que l’on verse dans une bouteille. Il y a une interaction entre le livre et le lecteur, ce qui ne signifie pas que le lecteur fait dire n’importe quoi à l’ouvrage. Ce phénomène suppose un certain désintéressement par rapport à ce que l’on écrit. Pour moi, un livre est comme un enfant, il a une existence indépendante et ne veut pas raconter à ses parents tout ce qu’il fait. » Et pour finir, lorsqu’il doit se prononcer sur ce dont il est fier, Remaud répond après un certain temps de réflexion et avant même de citer deux livres dont il est plus spécifiquement « content » (4) : « Avant tout je suis fier d’une évolution. Je suis très loin de ce que j’étais il y a 50 ans ».



(1) Prix de l’AJC 2004, il avait créé des cours d’études juives à Ratisbonne à Jérusalem.
(2) Chrétiens en Terre sainte – Disparition ou mutation ?, de Catherine Dupeyron (Ed. Albin Michel)
(3) Voir sa bibliographie complète sur http://www.jerusalem-religions.net/...
(4) « A cause des pères. Le ‘mérite des Pères’ dans la tradition juive », thèse de doctorat en théologie soutenue à l’Institut catholique de Paris qui a obtenu mention très bien et « Evangile et tradition rabbinique ».



Pour consulter l’ensemble du Dossier consacré à Michel Remaud : http://www.jerusalem-religions.net/...



Photo : D.R.