Face à la montée des violences contre les chrétiens, en Égypte comme en Irak, quels sont les moyens d’action du Saint-Siège ?
Le Saint-Siège ne dispose ni de moyens armés ni de pressions économiques pour s’opposer aux violences du fondamentalisme religieux. Ses moyens sont de nature spirituelle (l’appel à Dieu comme principe de paix), morale (la conscience appelée à concourir au bien et au respect des droits de l’homme, source de cohabitation pacifique entre les peuples et les expressions religieuses), culturelle (une authentique anthropologie exige le respect de soi et des autres, pour tout être humain, même s’il est différent) et sociale (le « vivre-ensemble » respectueux). Pour faire connaître son message, le Saint-Siège utilise les dicastères romains (par exemple les conseils pontificaux pour la justice et la paix, pour le dialogue interreligieux), ses nonciatures apostoliques, et naturellement les documents du pape comme celui du 1er janvier, pour la Journée mondiale de la paix, adressé aux gouvernants et à tous les hommes de bonne volonté.
Certains, au Moyen-Orient, voient dans ces attentats antichrétiens une réponse directe aux positions prises à l’occasion du Synode pour le Moyen-Orient. Quelle est votre réaction ?
Les attentats d'Alexandrie comme de Bagdad ne peuvent pas être considérés comme une rétorsion contre le synode ! Celui-ci, qui a été un grand moment ecclésial, n’a pas élaboré de programmes de conquête. Il a mis en relief des difficultés, et lancé des cris de douleurs ou des prières d’espérance. Il a surtout permis au monde entier de comprendre combien le Moyen-Orient est riche de biens spirituels, historiques et humains, qui appartiennent à tous. Personne ne peut dire : « Cela ne me regarde pas ! » À certains égards, ce synode a servi plus aux autres qu’aux Églises orientales. Il a mis en évidence combien la cohabitation sereine entre chrétiens et musulmans est importante pour tous. J’ai lu des témoignages de musulmans demandant aux chrétiens de rester. Cela déplaît aux fondamentalistes. Ce fondamentalisme vient de loin. Il naît d’une vision théologique erronée et d’une analyse socio anthropologique négative envers l’Occident, soulignant sa décadence morale, la pollution produite par cette décadence dans le monde entier, y compris chez les musulmans, dont les symptômes sont : l’éloignement de Dieu dans la vie, le manque de respect des principes religieux, et la privatisation du fait religieux. Il s’agit de leur part d’un jugement sans nuance sur la décadence de l’Occident, souvent confondu avec « le monde chrétien ».
Que peut-on attendre de la communauté internationale ?
Les attentats contre les chrétiens au Moyen-Orient, mais aussi entre les musulmans eux-mêmes, focalisent l’attention de la communauté internationale, non seulement sur la situation difficile des chrétiens, mais aussi sur l’ensemble des problèmes de la région. L’Union européenne, voisine de cette zone, ne peut lui être indifférente. Les problèmes ne sont pas séparés : la cohabitation pacifique entre Israël et les Palestiniens, entre chrétiens et musulmans, entre chiites et sunnites, sans oublier les autres communautés minoritaires, nous concerne. Mais elle doit partir d’une autre vision anthropologique, qui établit pour tous le respect de la dignité humaine, permettant à l’ensemble du système de tourner. L’Union européenne peut faciliter un dialogue sincère au Moyen-Orient, en collaborant avec les composantes religieuses et sociopolitiques pour isoler toute forme d’intolérance et de discrimination, qui engendrent la violence et le terrorisme à partir d’une motivation pseudo-religieuse. C’est aussi mon souhait !
Vous êtes resté à Bagdad au moment de l’attaque anglo-américaine sur l’Irak en 2003. Quels ont été pour vous, personnellement, les fruits de cette expérience au cœur de la violence ?
Une guerre est toujours un événement tragique. Jean-Paul II avait cherché à la conjurer en appelant à la paix avec insistance. La population irakienne l’a subie et en subit encore les conséquences. C’est elle la victime principale. Le nonce, les évêques, les prêtres, les religieux et les religieuses ont partagé avec elle ces jours tragiques en restant à leur poste. L’Église universelle nous a montré une proximité incroyable par la prière, par l’affection et par la solidarité. L’unité s’est vécue aussi entre chrétiens et musulmans ; ces derniers ont passé des nuits dans des églises chrétiennes, en apportant matelas et couvertures, partageant nourriture et eau, chantant les mêmes chants religieux. Ils craignaient de se trouver proches de possibles objectifs militaires (centrales électriques et téléphoniques, casernes, etc.). Ces circonstances m’ont marqué pour la vie de manière indélébile. Si, en ces jours-là, l’expérience diplomatique a pu montrer ses limites, l’expérience pastorale a été essentielle.
Propos recueillis par Frédéric Mounier, à Rome
Photo (Mgr Fernando Filoni) : D.R.