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Réponse : C’est la pseudo conférence antiraciste de Durban organisée par l’ONU en 2001 qui explique notre recherche. On s’était réuni à Durban pour dénoncer et combattre le racisme sous ses formes les plus diverses et variées. Or, très rapidement la conférence tourne à la chasse aux Juifs. On distribue notamment des affiches et caricatures antisémites, ainsi ce tract orné d’un portrait d’Hitler et légendé comme suit : « Et s’il avait gagné ? Il n’y aurait ni Israël, ni sang versé en Palestine. » Dérapage ? C’est ce que plaident d’aucuns ! Pour en savoir plus, nous nous lançons dans un voyage de plusieurs mois dans la presse arabo-musulmane. Et là, horreur !, nous constatons que non seulement les dessins diffusés à Durban ne sont pas le fait du hasard mais qu’il s’en publie tous les jours, et de bien pires encore, dans tous les médias musulmans…
Question : A vos yeux, Durban n’a donc rien d’un faux pas ?
Réponse : Ceux qui avancent la thèse du faux-pas en Afrique du Sud en sont pour leur frais. Il faudrait au contraire parler de « durbanalisation » de l’antisémitisme. Nous sommes bien ici en présence d’une propagande orchestrée et cohérente.
Question : Vous semble-t-il que les caricatures que vous reproduisez sont plus virulentes, plus véhémentes, qu’il y a une dizaine, une vingtaine d’années ou une centaine d’années ? Au fond, est-ce une nouveauté ? Le sociologue Pierre Olivier Perl avait étudié il y a quelques années, par exemple, les caricatures antisémites qui avaient été publiées pendant l’affaire Dreyfus. Il avait parfaitement montré qu’à cette époque, le Juif était représenté sous des traits les plus vils : menteurs, voleurs, traites, joueurs, assassins, corrupteurs, etc…
Réponse : Ce qui nous a à la fois étonnés et alarmés, c’est que cette propagande reprend un à un les thèmes de l’antisémitisme développé en Occident depuis le Moyen Age et ce, jusqu’à la période nazie... Aux arguments puisés dans la panoplie classique de l’antijudaïsme islamique, comme les accusations de « perfidie » et de « traîtrise », au mépris qui se trouve associé au statut de dhimmi, ou de « protégés » dans la société musulmane traditionnelle, se sont progressivement ajoutés des thèmes dont on pensait qu’ils étaient l’apanage du monde chrétien. Consciemment ou non, les caricaturistes du monde arabo-musulman reprennent, à leur compte, toutes les antiennes de l’antisémitisme occidental. Ils représentent les Israéliens comme naguère les caricaturistes européens et/ou nazis dépeignaient les Juifs : nez et doigts crochus, dos voûté, cheveux crépus, etc… Le mythe du Juif buveur de sang et/ou infanticite, central en chrétienté jusqu’à l’effondrement de l’Allemagne, était étranger à la pensée musulmane jusqu’à date récente. Il ne l’est plus. En témoigne le nombre sans cesse croissant de sites islamistes qui mettent en ligne, aux côtés des Protocoles des Sages de Sion, la très classique étude antisémite My Irrelevant Defence, being meditations inside gaol and out on Jewish ritual murder que Arnold Spencer Leese publia à Londres, en 1938, aux éditions de l’Imperial fascist League. Cette accusation est aujourd’hui au cœur de l’antisémitisme de trait arabe. C’est ce qui explique pourquoi « l’Israélien » est représenté aujourd’hui avant tout comme un tueur d’enfants. Cette banalisation du mythe permet de mieux comprendre les dérapages de plus en plus fréquents des médias arabes. Ainsi, ce programme satirique que proposa, le 17 novembre 2001, la télévision d’Abou Dhabi au cours duquel le premier Ministre Ariel Sharon était non seulement présenté comme un redoutable amateur de sang humain mais encore comme le responsable de la mort de Dracula, son plus dangereux… concurrent.
Question : Peut-on parler de nouveauté ?
Réponse : Oui et non. Si elle a pris une extension inégalée depuis l’été 2000, la caricature antisémite arabe est naturellement bien antérieure à l’intifada. Les dessins publiés dans la presse arabe juste avant la guerre des Six jours dépeignaient déjà les Israéliens comme des êtres vils, dégénérés et dégradés. Le Juif était sans doute d’essence diabolique mais petit, laid et couard, ce qui laissait supposer que son élimination rapide de la carte. Tout est naturellement différent aujourd’hui et ce, dans le contexte de l’incompréhensible incapacité du monde arabe à détruire Israël. L’Israélien est désormais représenté comme un être satanique, doté de pouvoirs occultes. Cette représentation du Juif démoniaque et dominateur permet d’expliquer aux masses arabes la non-disparition de l’Etat juif qui est à ce jour plus petit que la Belgique. Désormais, le Juif est maléfique, en Syrie, en Palestine mais encore en Égypte, pays pourtant liés par un traité de paix avec Israël. L’Égypte, qui entretient des relations d’État à État avec Israël depuis 1978 est peut-être même l’un des pires producteurs d’images antisémites. Il faut en effet signaler que, loin de perdre en virulence avec le processus de paix engagé à Oslo par Rabin, Pérès et Arafat, l’imagerie anti-israélienne et antisémite de la presse arabe a perduré, pour gagner naturellement en vigueur depuis la deuxième intifada.
Question : Vous semble-t-il que les caricatures les plus violentes sont exclusivement publiées dans la presse arabo-musulmane ? Ou bien, le trait grossier peut-il être relayé dans la presse européenne ?
Réponse : Nous montrons dans la seconde partie de notre ouvrage comment ces mythes et représentations d’un autre âge qui semblaient avoir totalement disparu de l’univers mental occidental sont brusquement réapparues. De la Belgique à l’Italie, les « antisé-mythes » classiques sont bel et bien réapparus : en Europe aussi les Juifs sont désormais représentés comme des tueurs d’enfants. La culpabilité liée à la Shoah n’y est pas étrangère. (…) Il faut voir la manière dont la mémoire de la Shoah est aujourd’hui instrumentée contre… Israël. C’est un comble quand on sait qu’on n’hésite pas à accuser les Juifs d’utiliser la Shoah dans leur défense d’Israël.
Question : Est-ce qu’un même dessin (ou un dessin approchant) peut connaître des variantes idéologisées et être exploités en même temps à gauche et à droite, de l’extrême gauche à l’extrême droite ?
Réponse : Dans ce dernier volet, nous expliquerons comment un même thème, voire un même dessin, peut servir les intérêts en apparence contradictoires des propagandistes de la cause musulmane, des hérauts de l’alter-mondialisme et des représentants de la droite la plus extrême aussi bien aux États-Unis que sur notre continent. Ainsi de ce Latuff, un caricaturiste brésilien halluciné, dont les dessins qu’on ne saurait qualifier autrement que d’antisémites, figurent aussi sur des centaines de sites altermondialisés que de la droite la plus radicale. Les ennemis des Juifs se sont toujours rejoints aux extrêmes.
Question : Vous évoquez à juste raison et étudiez ces flopés de dessins antisémites. Mais, n’y a-t-il pas aussi de l’autre côté des dessins racistes ? Où les Arabes seraient présentés comme des illuminés, des terroristes ou des adeptes d’Oussama Ben Laden ?
Réponse : Notre objectif serait-il d’opposer ici un quelconque humanisme israélien à une prétendue barbarie arabo-musulmane ? Loin de nous cette idée. Il va sans dire que les Palestiniens sont également victimes de professionnels de la caricature et du photomontage. Les quelques dessins que nous reproduisons en témoignent jusqu’à l’écœurement. Ainsi, les caricatures d’Oleg, dessinateur israélien d’origine russe, au service notamment des Dames en vert, association extrémiste qui prône le maintien du Grand Israël ou celles, bien plus insupportables encore, du site (américain) du Kach, parti raciste interdit en Israël et dont la Ligue de Défense Juive se veut l’héritière. « Interdit en Israël », nous le soulignons. Et c’est là, sans doute, que réside toute la différence. Présentes dans la plupart des grands quotidiens du monde arabe, les caricatures de haine n’ont toujours pas droit de cité dans les journaux israéliens. En Israël, le dessin de presse, fût-il le plus noir, joue résolument sur le mode de l’humour.
Question : Ne pourrions nous pas dire qu’un dessin (fut-il désagréable) ne pourrait être finalement que le reflet d’un moment, d’une actualité, d’un désaccord, comme un cri ? Faut-il blâmer tous les caricaturistes ?
Réponse : Le propre de la caricature est d’être engagée, irrévérencieuse, même. En cela, elle est aussi un art du courage. Les puissants ou les notables que brocarde le dessinateur sont ceux-là même qui le gouvernent. En cela, on comprendra qu’il s’agit d’un art qui a besoin d’un minimum de liberté pour exister. Le cadre qui lui convent le mieux est celui de l’espace public démocratique. On comprendra dès lors pourquoi, les caricaturistes arabes n’osent guère s’aventurer sur le terrain de la critique interne. Soulignons que Naji Al-Ali, le père de la caricature palestinienne est mort pour avoir osé critiquer Yasser Arafat. C’est en toute connaissance de cause qu’il choisira de décocher ses flèches vers l’extérieur et tout particulièrement vers « les sionistes » et ce, avec une violence, une hargne et une mauvaise foi à la mesure de ses propres frustrations, d’où leur caractère « pousse-au-crime. »
Question : Peut-il arriver que des caricaturistes en viennent à regretter leur dessin ou plus simplement qu’ils puissent évoluer ? Y a t’il au demeurant, une responsabilité du caricaturiste ? Laquelle ?
Réponse : A delà de ses impératifs scientifiques, notre étude se veut aussi un cri d’alarme. Notre objectif est de démontrer aux dessinateurs, aux rédacteurs en chef et aux patrons de presse du monde arabo-musulman ainsi qu’à certains des journalistes européens qui leur ont emboîté le pas que si c’est la cause de la paix qu’ils défendent ils se fourvoient dangereusement. Ce n’est pas rendre service au peule palestinien que de présenter les Israéliens avec lesquels ils devront tôt ou tard faire la paix, en monstres sanguinaires privés d’humanité. Car, en effet, on ne négocie pas avec un monstre : on le supprime. Il est de la responsabilité des caricaturistes arabes d’éduquer leur population respective, certainement pas de les pousser à la haine radicale comme ils le font aujourd’hui. Notre espoir est que ce modeste ouvrage puisse les convaincre de prendre leur responsabilité et d’œuvrer, enfin, à la Paix plutôt qu’à la guerre de mille ans.
Propos recueillis par Marc Knobel
Observatoire des médias
Joël et Dan Kotek, Au nom de l’antisionisme. L’image des Juifs et d’Israël dans la caricature depuis la seconde Intifada. Editions Complexe, 2003, 167 pages.
Les propos des personnes interrogées n’engagent qu’elles-mêmes.