Eliane Klein, délégué du CRIF pour la région Orléans - Centre : Parce qu’une rumeur à caractère antisémite s’était répandue, non seulement à Orléans, mais également dans les environs.
Quelle était la teneur de cette rumeur ?
Des magasins appartenant à de jeunes commerçants juifs ou -que l’on soupçonner d’être des Juifs- ont été accusés de pratiquer la traite des blanches. Il était dit que les jeunes clientes étaient piquées et étaient transportées dans des sous-marins de la Loire (sic) vers des pays d’Amérique du Sud !
D’où venait cette rumeur ?
Je ne sais pas. Le propre d’une rumeur est que l’on ne sait pas comment elle est née.
Je suppose que l’ambiance devait être absolument détestable ?
Oui, absolument. Les magasins étaient vides, il y avait des attroupements et les gens marmonnaient, regardaient les devantures de ces magasins…
Comment avez-vous eu connaissance de cette rumeur ?
Par une personne de ma famille, qui travaillait dans le magasin de mes parents.
Quelle a été votre première réaction ?
J’ai rigolé d’abord, tellement cela me semblait énorme. J’ai cru qu’il s’agissait d’une mauvaise farce. Je l’ai raconté ensuite à une collègue professeur, j’ai eu la stupéfaction de m’entendre dire se sa bouche : « Pourquoi te croirais-je toi ? »
C’est à dire ?
Elle connaissait l’existence de la rumeur, elle y croyait. Ensuite, elle savait que j’étais juive. Cependant, je tiens à préciser que rien dans mon enseignement ou dans mon comportement avec mes élèves ou collègues, ne pouvait laisser penser que je l’étais.
Donc, vous décidez d’agir ?
Première chose, ma sœur et moi-même nous avons décidé d’envoyer une lettre à tous les médias (journaux, quotidiens, mensuels, hebdomadaires) de la presse juive et non juive. Nous avons écrits également à la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICA), au MRAP et à la LDH. Quelques jours plus tard, Claude Angeli, journaliste du Canard enchaîné, m’a téléphoné pour se renseigner. Par la suite, d’autres journalistes ont répondu à notre courrier et sont venus à Orléans faire leur enquête. Nous avons également provoqué avec l’aide de l’écrivain Louis Guilloux -Président de la maison de la Culture d’Orléans- des meetings, des conférences et toute notre activité à été couverte par le journaliste de la République du Centre, Henri Blanquet.
Qu’est ce que les journalistes ont finalement découvert ?
Ils ont découvert que c’était une rumeur folle, totalement mensongère et absolument antisémite. Pourtant, une foule de gens a cru que tout cela était vrai, notamment dans certains établissements scolaires, des professeurs ont mis en garde les jeunes filles leur enjoignant de ne pas se rendre dans ces magasins.
Vraiment ?
Oui, et je sais que cela est difficilement explicable. Je dois finalement regretter que l’instruction et le savoir ne protègent pas toujours de la plus grande bêtise et/ou des préjugés.
La rumeur s’est finalement estompée ?
Oui, mais il y eut - il y doit y avoir encore - des gens qui y croyaient ou qui y croient encore.
Mais, comment lorsque vous songez à la propagation folle et démesurée de cette rumeur antisémite, comment donc arrivez-vous à regarder votre ville ?
J’aime ma ville et j’ai pris beaucoup de distance par rapport à cela. Je rappellerai seulement qu’à l’époque de nombreuses personnes se sont manifestées pour dénoncer cette rumeur en particulier Madeleine Zay, la veuve de Jean Zay, ministre de l’Education sous le Front populaire, et bien d’autres personnalités de la ville.
La rumeur d’Orléans, c’est votre prise de conscience ?
Oui, j’ai alors compris que l’antisémitisme n’était pas mort et qu’il est toujours prêt à ressurgir.
Propos recueillis par Marc Knobel