J’ai en mémoire les images vues à la télévision d’une conférence de presse donnée par le dernier maître suprême de l’URSS, Gorbatchev. On a vu se soulever tout au fond d’une salle comble remplie de journalistes un petit homme, Henry Bulawko, qui a eu l’audace d’interpeler le maître de l’immense empire soviétique et lui a dit à peu près : « Je garde une éternelle reconnaissance à l’armée rouge qui m’a libéré en libérant Auschwitz. C’est au nom de la haute idée que je me fais des valeurs que vous défendez que je vous demande de laisser partir enfin de votre pays les centaines de milliers de Juifs qui le souhaitent. »
Henry Bulawko était un ami de mon père. Ils partageaient le même amour du sionisme et de la langue Yiddish. Mon père s’occupait du journal Unser Wort. Aussi Henry Bulawko a-t-il accepté immédiatement l’offre que nous lui avons faite, mon frère et moi, voici 25 ans, de présider le jury du prix Max Cukierman destiné à promouvoir la langue Yiddish. Sa présence a permis que, parmi les membres du jury, des personnalités aussi éminentes qu’Ady Steg, Sam Pisar, et Elie Wiesel se joignent à ce jury. Les séances de discussion de ce jury étaient des moments exaltants. Pour Henry Bulawko le domaine du Yiddish c’était bien sûr la langue, mais aussi la culture, la musique et la chanson Yiddish.
J’ai encore eu l’occasion de côtoyer Henry Bulawko au CRIF pendant les six années de ma présidence. Il était vice président du CRIF et participait aux réunions hebdomadaires de notre bureau exécutif. Nous avons ainsi bénéficié de son exigence, de son intelligence, de sa sagesse, de sa tolérance, et d’une qualité particulièrement développée chez lui : le sens de l’humour.
C’est la raison pour laquelle, au-delà de la peine que nous cause sa disparition, nous garderons dans nos mémoires le souvenir de son sourire radieux.
Roger Cukierman
Photo: D.R.