Un an plus tard, le même Faisal est incarcéré dans une cellule du FBI, accusé de terrorisme et de tentative d'utilisation d'armes de destruction massive. Il risque la prison à vie. En l'espace de 53 heures dignes d'un thriller hollywoodien, entre samedi soir 18h30 et lundi soir 23h45, il aura sûrement vécu les heures les plus folles de son existence. Après avoir dissimulé en plein Times Square, à New York, une bombe artisanale qui n'a pas explosé, il a été poursuivi dans une folle chasse à l'homme qui s'est soldée par son arrestation in extremis à l'aéroport de JFK, à bord d'un avion à destination de Dubaï. La bombe était si rudimentaire et les indices laissés sur son passage si nombreux, qu'il est désormais affublé du surnom de «terroriste le plus raté de la planète».
Comment un jeune immigré de bonne famille en est-il arrivé à vouloir terroriser l'Amérique ? C'est la question que tous les Américains se posent, choqués par cette affaire que Barack Obama a décrite lundi comme un «rappel brutal de l'époque dans laquelle nous vivons». Le juge du tribunal de Manhattan devant lequel Shahzad devait être déféré ce mercredi était impatient d'interroger le jeune homme sur ses motivations. Tout avait pourtant bien commencé, dans la vie de Faisal. Il naît en 1979 dans une famille aisée de militaires, près de la capitale pakistanaise, Islamabad. À 19 ans, il obtient un visa d'études pour les États-Unis. Il sort à 25 ans de l'université de Bridgeport, dans le Connecticut, avec une licence en informatique et un master en administration des affaires. Faisal commence à travailler comme analyste financier en 2006. Ce jeune homme sans histoire a déclaré sur son CV des hobbies aussi banals que «le sport» et «rencontrer des gens de milieux différents». On le trouve plutôt agréable. «Il était toujours très gentil», se souvient Timothy Dileo, un ancien collègue. En 2006, âgé alors de 26 ans, Faisal Shahzad épouse Huma Mian, une Américaine du Colorado d'origine pakistanaise, avec laquelle il a deux enfants.
Un Pakistanais «moderne»
Le couple intègre la classe moyenne américaine et achète non loin de Bridgeport, pour 273 000 dollars, un joli pavillon avec une petite piscine. Faisal porte des costumes occidentaux pour aller travailler, «à Wall Street», assure-t-il à ses voisins, et des djellabas quand il est en famille. Celui que ses proches au Pakistan décrivent comme un Pakistanais «moderne» se laisse pousser un collier de barbe, mais l'imam de Bridgeport, Cheikh Hassan Abu-Mar, ne l'a «jamais vu» à la mosquée. Les enquêteurs essaient aujourd'hui de comprendre quand et où il s'est radicalisé.
C'est vers la mi-2009 que sa vie se désintègre brutalement. Il quitte son emploi sans explication et retourne au Pakistan en juin. Aux voisins, il raconte qu'il déménage dans le Missouri. Mais au moment même où il obtenait la citoyenneté américaine, quelques mois plus tôt, un drame sûrement humiliant s'était produit pour cet immigré qui avait réussi en Amérique. En pleine crise immobilière, la banque avait saisi sa maison, dont il n'arrivait pas à rembourser l'emprunt. L'Amérique réelle était-elle à la hauteur des rêves de cet homme élevé selon des valeurs pakistanaises strictes ? Était-il déçu par ce pays qui mène deux guerres dans des nations musulmanes et lance des drones sur les insurgés talibans, tuant ainsi des victimes civiles dans son propre pays d'origine ?
La police et les services de renseignements cherchent à savoir ce qu'il a fait au Pakistan jusqu'à son retour aux États-Unis en février 2010. Il aurait affirmé, d'après les enquêteurs new-yorkais, avoir été entraîné au maniement des bombes dans un camp du Waziristan, tout en assurant avoir agi seul lors de la tentative d'attentat. Des proches ont été arrêtés au Pakistan, mais, sur place, on crie au complot.
Si Faisal Shahzad s'interroge sur la signification du rêve américain, il en aura un exemple éloquent au tribunal de Manhattan. C'est un autre immigré naturalisé américain qui le jugera. Preet Bharara, né dans le Penjab de père sikh et de mère hindoue, a été nommé au poste prestigieux de juge fédéral par Barack Obama l'an dernier.
(article publié dans le Figaro du 6 mai 2010)
Photo : D.R.