Vous avez quitté le Japon le jour ou le niveau de la menace nucléaire est passé à sept, le niveau maximum. Avez-vous senti de la panique chez les Japonais?
Les radiations sont le cadet de leurs soucis. Les conditions de vie en ce moment sont si terribles que les gens sont plus préoccupés par la recherche de pain et d'eau que par autre chose. Nous venons de passer deux semaines là-bas, et à présent l'infrastructure est mieux établie. Il ya un flux régulier de nourriture, mais beaucoup de choses manquent encore. Les personnes que nous avons soignées ne parlaient même pas du rayonnement.
Étiez-vous vous-même inquiet?
Avant de quitter Israël, nous avons été informés que si le niveau de rayonnement venait à s'élever au-dessus d’une certaine limite, nous avions ordre d’évacuer immédiatement. Chaque membre de la délégation avait sur lui deux appareils de mesure de rayonnement individuels, et nous avions également avec nous un expert de renommée internationale dans ce domaine, ainsi que plusieurs appareils à la pointe de la technologie pour mesurer les niveaux de rayonnement dans l'air, dans l'eau et sur nos patients.
A quelle distance étiez-vous des réacteurs de Fukushima?
Nous avons maintenu une distance minimale d'environ 150 km. Les Américains avaient délimité un rayon de 60 à 80 km autour du réacteur, nous y avons ajouté une marge supplémentaire de sécurité.
Comment avez-cous choisi l'emplacement de votre hôpital de campagne?
Les Japonais ne voulaient pas accepter l'aide de n'importe quel pays, même nombre d’entre eux ont offert leur aide. Leurs anciennes traditions veulent qu’ils essaient de s’en sortir par leurs propres moyens. Même les chiens de sauvetage envoyés par la Nouvelle-Zélande ont été placés en quarantaine pendant 10 jours, avant d’être autorisés à aider. Heureusement pour nous, le maire de Kurihara avait fait du volontariat en Israël auparavant, et c’est un ami proche de notre ambassadeur à Tokyo. Il a décidé que nous nous occuperions du village de pêcheurs de Minamisanriku, à environ une heure de Kurihara. Ce village a été complètement détruit par le tsunami qui a suivi le séisme et près de la moitié de ses 10000 habitants a disparu. Les survivants étaient totalement démunis, sans abri.
Qu'avez-vous fait exactement sur place?
Nous avons mis en place un hôpital de campagne, qui est devenu le point d'ancrage de toutes nos actions et de tous nos services. Après notre arrivée, nous nous sommes rapidement rendu compte que les gens avaient moins besoin d’une unité médicale d’urgence que de soins pour eux et pour leurs bêtes. Ils ont été rapatriés et hébergés dans les centres communautaires et dans les écoles - environ 1500 personnes dans chaque bâtiment. Sur place, ils ont reçu de la nourriture et l'eau, mais pratiquement pas de soins médicaux. Dans certains centres, il n'y avait pas de médecin du tout, certains autres avaient un seul médecin, mais sans médicaments et sans matériel. A peine un stéthoscope...
Comment avez-vous organisé votre mission?
Notre exigence essentielle était que nous ne voulions être un fardeau pour personne là-bas. Donc, nous avons tout apporté avec nous : notre nourriture, notre eau et tout ce qui nous était nécessaire. L'essentiel était d'arriver à n’avoir quasiment pas besoin de l'assistance des autorités japonaises. La délégation comptait 55 membres, 30 membres du personnel médical dont 14 médecins, sept infirmières, et neuf membres du personnel logistique, des techniciens en radiologie et du personnel de laboratoire. Nous avions un médecin pour chaque domaine concerné : chirurgie générale, ophtalmologie, ORL, médecine interne, gynécologie, pédiatrie et gériatrie - et notre centre médical a également fourni des services numériques de radiologie ainsi que ceux d’un laboratoire de pointe, pour les médecins japonais déjà en place sur les lieux.
Comment le travail avec les services médicaux locaux s’est-il passé?
Notre arrivée s’est faite bon gré mal gré au début, et les japonais ont posé des limites très strictes sur ce que nous pouvions et ne pouvions pas faire. En tant que commandant de la délégation, mon travail consistait à organiser la collaboration avec les services médicaux japonais et à les persuader que nous étions là pour les aider, et non pour les remplacer. Jour après jour, cette collaboration s'est développée. Au bout de quatre jours, ils ont accepté d’envoyer nos équipes à d'autres centres, au-delà du lieu de population où nous nous trouvions, et ils nous ont envoyé traiter quelques cas de personnes qui ne pouvaient pas quitter leurs domiciles. Nous sommes allés voir des femmes enceintes avec nos appareils à échographie portable. Tout cela avec nos propres véhicules et notre essence.
Vous êtes de retour en Israël après deux semaines, beaucoup de travail reste à faire là-bas…
Nous avons traité plus de 200 patients. Au cours de notre séjour, nous avons compris qu'au-delà des soins médicaux, il est nécessaire de reconstruire les infrastructures sur place. Ce travail ne sera terminé que dans deux mois. Notre rôle essentiel était de remplacer, pour les besoins de base et pendant un court laps de temps, l'hôpital local, qui a été détruit.
Avez-vous tiré des conclusions de cette expérience concernant d’éventuelles futures catastrophes ici en Israël?
Il y a beaucoup à apprendre de cet évènement. Nous, israéliens, avons une énorme capacité de flexibilité - à un niveau que les autres pays sont incapables d’atteindre. Mais ce n'est pas une alternative à la planification sérieuse d'éventuelles catastrophes…
Photo : D.R.
Source :Haaretz