A Troyes, dans l’Aube, ville de Rachi, célèbre commentateur médiéval de la Bible et du Talmud, les offices religieux du vendredi soir ne rassemblent guère plus d’une vingtaine de personnes. « Quand nous sommes trente, nous sommes contents », reconnaît le président de la communauté, Charles Aidan.
Il y a cinq ans, le rabbin – qui officiait pour toute la région Champagne-Ardenne – a « fait valoir ses droits à la retraite » et choisi de la passer en Israël. La communauté n’a plus les moyens de le remplacer et la ville n’offre pas, de toute façon, le minimum de vie juive auquel aspirent un rabbin orthodoxe et sa famille : commerces casher, école juive, etc.
Lors des grandes fêtes, le gendre de Charles Aidan, rabbin à Paris, vient animer bénévolement l’office. Le reste de l’année, c’est un membre de la communauté capable de lire le texte biblique dans les rouleaux de la Torah qui pallie l’absence de rabbin.
La communauté manque d’argent
Son président le reconnaît volontiers : la communauté s’est beaucoup « étiolée » ces dernières années. Le traditionnel « creux générationnel » prend ici des allures de « gouffre ». Dès qu’ils ont passé leur bac, les plus jeunes partent étudier à Reims ou Paris. D’autres, plus âgés, ont choisi de partir vivre en Israël.
Résultat, la communauté manque d’argent – seules 90 des 130 à 150 familles répertoriées dans l’agglomération sont adhérentes – mais aussi de dynamisme. La grande majorité de ses membres ne se rendent à la synagogue que pour les fêtes religieuses, sept enfants seulement sont inscrits au Talmud-Torah (équivalent du catéchisme).
Quant à ceux qui ont effectué leur bar-mitsva, ils ne fréquentent plus que très occasionnellement le centre communautaire, trois maisons classées, situées dans le cœur médiéval de la ville et d’une surface totale de 2200 mètres carrés mais dont un quart seulement est utilisable, faute de rénovation…
«Nous avons tout de suite été d’accord»
Certes, des concerts sont parfois organisés, des après-midi de jeux lors de la fête de Pourim. Mais lorsque le président du Consistoire central, Joël Mergui, et le rabbin Menahem Engelberg lui ont proposé de signer un partenariat avec la communauté – beaucoup plus nombreuse – de La Varenne-Saint-Hilaire (Val-de-Marne), Charles Aidan a tout de suite trouvé « l’idée très belle ».
Le 16 novembre, les responsables des deux communautés ont signé le document officiel. « Pour s’aider et se soutenir matériellement et spirituellement », La Varenne s’est engagée à verser 5000 € à Troyes, mais aussi et surtout à inventer avec cette dernière les moyens d’une collaboration adaptée.
« Nous avons tout de suite été d’accord », assure Michel Dluto, président de La Varenne, une communauté souvent présentée comme « exemplaire » par le Consistoire central pour son « ouverture », le nombre et la variété des activités qu’elle propose. Son budget se chiffre en « quelques centaines de milliers d’euros » et chaque samedi, près de 250 personnes se pressent dans sa synagogue.
Ce partenariat n’est que le deuxième du genre
En pratique, des jouets ont déjà été envoyés à Troyes pour la fête de Hanoukka, célébrée début décembre. D’ici à janvier, une nouvelle rencontre doit avoir lieu pour fixer plus précisément les conditions du partenariat : le rabbin de La Varenne pourrait animer les offices deux à trois fois par an dans la capitale de l’Aube.
Et toute la communauté a déjà prévu de le suivre pour y célébrer Lag Ba’Omer, quelques semaines après Pessah. « Notre venue donnera un côté convivial à cette fête, qui incitera peut-être les gens à venir », espère Michel Dluto.
Pour Charles Aidan, en plus des offices de shabbat, « le plus urgent » est aussi de trouver un enseignant pour le Talmud-Torah pour suppléer « la mère de famille dévouée » qui s’en occupe mais qui ne constitue qu’une solution provisoire…
Signé il y a quelques semaines, ce partenariat n’est que le deuxième du genre : un premier a été signé entre la synagogue de la rue des Tournelles, à Paris, avec La Rochelle. Un troisième vient tout juste d’être signé entre Enghien (Val-d’Oise) et Rennes, et un quatrième est en préparation entre Aix-en-Provence et Gap.
Redonner de l’allant à des «présidents découragés»
Ils résultent d’un constat tout simple : dépourvu de moyens financiers et humains, le Consistoire israélite ne peut que se reposer sur ses communautés adhérentes. Impossible pour l’heure d’évaluer leurs résultats mais Menahem Engelberg, leur promoteur, espère qu’ils redonneront de l’allant à des « présidents découragés, qui n’ont plus l’envie d’avancer ».
D’autant que cette initiative s’ajoute à deux autres, lancées en juin 2007, peu de temps après les élections du grand rabbin de France et du président du Consistoire central qui, tous deux, avaient fait campagne autour du soutien à apporter aux petites communautés : six fois par an, une petite équipe (la ’Hazac) de jeunes juifs d’Île-de-France vient animer un shabbat dans la ville qui leur a été confiée et tente de remobiliser les jeunes de la communauté.
Tous – animateurs comme accueillants – sont également invités à chacune des étapes du « tour de France » des communautés : Angers, Caen, La Rochelle ont déjà été visitées, avant Dijon le 14 janvier.
Article publié dans la Croix du 15 décembre 2010
Photo : D.R.